Par support > Correspondances > Lettre au comte de Lionne

 

1668

Charles de Saint-Évremond, Lettre au comte de Lionne

Circulation et opinion sur Andromaque

Dans une lettre au comte de Lionne datant de mars-avril 1668, Saint-Évremond évoque la circulation des exemplaires d'Andromaque et le marché éditorial d'Amsterdam avant de donner son avis sur la pièce de Racine :

Votre Andromaque est fort belle ; trois de mes amis m'en ont envoyé trois par la poste, sans considérer l'économie nécessaire dans une République. Je ne regarde point à l'argent, mais si les bourgmestres savaient cette dissipation, ils me chasseraient de Hollande, comme un homme capable de compromettre leurs citoyens. Vous savez ce que c'est qu'un état populaire, quand vous m'exemptez de ces dépenses, dont vous chargez très judicieusement M. l'Ambassadeur, à qui il sied très bien de répandre son argent pour l'honneur de son maître, et pour la dignité de la couronne. Néanmoins, comme toutes ces choses-là s'impriment à Amsterdam huit ou dix jours après qu'elles ont plu en France, je ne voudrais pas coûter à Monsieur l'Ambassadeur des ports si considérables trop souvent. Ceux qui m'ont envoyé Andromaque m'en ont demandé mon sentiment ; comme je vous l'ai dit, elle m'a semblé très belle ;mais je crois qu'on peut aller plus loin dans les passions, et qu'il y a encore quelque chose de plus profond dans les sentiments, que ce qui s'y trouve : ce qui doit être tendre n'est que doux, et ce qui doit exciter de la pitié, ne donne que de la tendresse. Cependant, à tout prendre, Racine doit avoir plus de réputation qu'aucun autre, après Corneille.

éd. R. Ternois, Paris, Marcel Didier, 1967, t. I, p. 140.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »