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1660

sieur de Villiers, Le Festin de pierre

Paris: C. de Sercy, 1660

Ignorants spectateurs

Dans cette épître à "Monsieur de Corneille, à ses heures perdues", Villiers évoque sur un ton badin le succès de la représentation de sa pièce. Le public a manifestement été frappé par l'interprétation de Dom Pierre et du cheval, sans s'arrêter aux défauts de construction de la pièce.

Je sais bien que j'aurais beaucoup mieux fait de supprimer cet ouvrage que de lui faire souffrir la presse, puisque, si par exemple on voit des héros de roman mériter la corde pour leurs subtilités, celui de cette pièce mérite le feu qui foudroie pour l'expiation de ses crimes. Je l'avais caché quelque temps, sans vouloir permettre qu'il les fît paraître en public ; mais enfin mes compagnons, assez médiocrement soigneux de sa réputation, l'ont souhaité de moi, dans l'opinion qu'ils ont eue que le nombre des ignorants, surpassant de beaucoup celui de ceux qui se connaissent aux ouvrages de théâtre, s'attacheraient plutôt à la figure de Dom Pierre et à celle de son cheval qu'aux vers ni qu'à la conduite. En effet, si je pouvais vous donner ces ceux pièces, je croirais vous avoir donné quelque chose. C'est assurément ce qui a paru de plus beau en notre représentation. Les Français à la campagne et les Italiens à Paris, qui ont fait tant de bruit, n'en ont jamais fait voir qu'un imparfait original, que notre copie surpasse infiniment.
Quoi qu'il en soit, je vous offre tout ce qui a pu contenter le public, que je n'ai pas fait, et tout ce qui l'a pu choquer, qui vient de moi. Je vous supplie très humblement de l'agréer, comme s'il valait la peine que vous y jetassiez les yeux. Si tous ceux qui m'ont précédé en ce genre d'écrire avaient eu la même reconnaissance, et qu'ils vous eussent demandé, avec autant d'affectation que je le fais, que vous eussiez eu la bonté de leur en marquer les défauts, nous ne verrions pas tant d'ouvrages qui ne méritent pas plus votre approbation que celui-ci, et notre troupe n'aurait pas été réduite à faire paraître un homme et un cheval, faute de quelque chose de meilleur. Vous me direz sans doute que, connaissant comme je fais le peu d'ordre qu'il y a dans ce sujet, son irrégularité et le peu d'invention que j'y ai apportée, je devais me contenter d'en avoir fait remarquer les défauts dans la représentation, sans l'exposer imprudemment à la lecture. Je n'ai autre chose à répondre à cette raisonnable objection, sinon que le libraire me l'est venu demander chez moi, et qu'après l'avoir vu représenter, il veut voir s'il en pourra tromper quelques particuliers comme nous en avons abusé le public.


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