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1639

Jean Chapelain, Lettre à M. de Balzac

Avis divergents sur les Suppositi

Dans cette lettre à Balzac datée du 12 mars 1639, Chapelain raconte la réaction de Voiture et de Mlle de Rambouillet à la lecture des Suppositi, révélant par là les alliances et rivalités en matière de belles lettres.

Monsieur,
Vous verrez la transformation d’une lettre prétendue en un placet d’occupation et de préoccupation que M. de Voiture vous envoie, afin de surprendre aussi bien votre jugement par sa déférence, qu’il a fait celui de la princesse Julie par ses galanteries. Il vous faut expliquer cet énigme. Je lui avais baillé Les Supposés de l’Arioste pour se divertir par les chemins et se remettre dans la langue italienne. Au retour de Rome, il me dit qu’ils ne valaient rien et, parce que je n’étais pas de son avis, il m’obligea d’en reconnaître Mlle de Rambouillet pour juge, laquelle, soit qu’elle n’entendît pas assez bien la langue, soit parce qu’en la lisant j’en passai toutes les obscénités, qui font traits dans la pièce, soit parce qu’elle ne sait pas les lois de la comédie pure et qu’elle n’en goûte que celles qui ont l’éclat des aventures de romans, témoigna sur les deux premiers actes que celle-ci ne lui plaisait. Nous avions fait une gageure d’une paire de gants d’Espagne. Dès le lendemain matin je la lui envoyai, non pas comme vaincu ni condamné, mais comme le voulant payer de quelques livres qu’il m’avait apportés à ma prière, et dont jusqu’alors il n’avait point voulu prendre ce qu’ils lui avaient coûté. […]
Je vous prends à témoin que mon procédé a été plus sincère et que, vous demandant votre jugement dès l’autre semaine sur cette pièce, je ne vous avais pas voulu expliquer le sujet de cette demande, de peur que l’opinion que vous avez que je me connais assez en ces matières ne fît quelque impression dans votre esprit qui nuisît au droit qu’il pourrait avoir dans la question. Je continue dans ma prière et dans les mêmes termes, je veux dire que, sans exception de personne, vous jugiez de la chose par les conditions requises à sa nature et selon droit et équité. Il y a eu de grandes batailles données sur cette matière et, parce qu’il ne pouvait pas dire que la pièce ne fût régulière pour défendre son jugement, il s’est trouvé réduit à dire que le bon sens était meilleur juge de la comédie que les règles, comme si le bon sens n’était pas le père des règles. Mais ne jugez point de cette hérésie et ne jugez que de la comédie.

Lettre en ligne sur Gallica t. I, p. 401-402.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »