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[s. d.]

[Anonyme], Recueil Tralage

Paris, Librairie des bibliophiles, 1880.

L'origine des sifflets

Parmi les extraits sur le théâtre que Paul Lacroix a sélectionnés dans le recueil Tralage, on trouve cette suite de commentaires sur des créations théâtrales et opératiques à la fin du siècle :

La première pièce de théâtre qu'ait fait M. de Fontenelle, neveu de M. de Corneille, est Aspar : elle fut sifflée par le parterre, car c'est là l'origine des sifflets. Avant ce temps, on baillait et on s'ennuyait quelquefois aux pièces de Pradon et d'autres poètes à la glace. Le sieur de Visé, ami de M. de Fontenelle, a dit beaucoup de bien de la tragédie d'Aspar dans le Mercure galant, mais le public n'a pas été de son avis, puisqu'elle n'a été représentée qu'une ou tout au plus deux fois.

La plupart des pièces de Pradon ont un avantage considérable, c'est qu'on ne les représente presque jamais au simple. Pour bien entendre ce bon mot, il faut savoir qu'à la plupart des tragédies on paye double, au parterre, dans la nouveauté, c'est à dire 30 sols. Après cela, on les met au simple, c'est à dire à 15 sols. Or les pièces de cet auteur ont été si peu jouées qu'on n'a pas eu le temps de les mettre au simple, ce qui est une méchante marque et qui fait voir qu'elles sont tombées.

Depuis quelques années, on s'est mis en tête, à la cour, de trouver mauvais ce que l'on avait approuvé au théâtre de Paris. Par exemple, la tragédie de Judith, en 1694, où tout Paris avait été avec empressement, a été méprisée à la Cour. Il est vrai que la brigue de M. Racine et de M. Despréaux y a beaucoup contribué. Il y a des gens qui aiment à se laisser mener ; ils ne voient et n'entendent que par autrui. En 1695, la petite comédie de La Foire de Besons qui a valu vingt mille francs aux comédiens français a été rebutée à Fontainebleau devant la Cour, et l'on a dit hautement qu'on s'étonnait comment elle n'avait point été sifflée dès le commencement. Les gens de Cour et surtout les dames affectent de mépriser ce que le bourgeois a estimé : cela a plus l'air de qualité, et marque un génie supérieur. A peine le bourgeois a-t-il le sens commun !

Il y en a qui assurent que les sifflets ont commencé à la comédie du Baron des Fondrières, par les sieurs Corneille et de Visé ; elle ne fut représentée qu'une fois, et depuis ce temps-là, le sieur Corneille le jeune n'a plus rien voulu faire pour le théâtre. Il travaille au Mercure galant conjointement avec le sieur de Visé, son associé et son ami.

[…]

[Ces vers se retrouvent dans le manuscrit 673 de Tallemant des Réaux]

Ces jours passés, chez un vieil histrion,
Un chroniqueur mettait en question
Quand à Paris commença la méthode
De ces sifflets qui sont tant à la mode.
« Ce fut, dit l'un, aux pièces de Boyer. »
Gens pour Pradon voulurent parier.
« Non, dit l'acteur, j'en sais toute l'histoire.
Qu'en peu de mots je vais vous débrouiller :
Boyer apprit au parterre à bâiller ;
Quant à Pradon, si j'ai bonne mémoire,
Pommes sur lui volèrent largement.
Or, quand sifflets prirent commencement,
C'est (j'y jouais, j'en suis témoin fidèle),
C'est à l'Aspar, du sieur de Fontenelle. »

Le vendredi 27 décembre 1680, on représenta pour la première fois Aspar, tragédie de M. de Fontenelle. Le 29 du même mois elle fut encore jouée, et le 14 janvier aussi de l'an 1681.
Le dimanche 23 février 1681, on représenta pour la première fois la Pierre philosophale, comédie de M. de Visé et de M. Thomas Corneille. Le 25 du même mois, elle fut jouée encore, pour la dernière fois.
Le lundi 14 janvier 1686, on représenta le Baron de Fondrières, qui n'a point été joué davantage. Cette comédie est attribuée à M. de Visé et à M. Thomas Corneille.
C'est par ces pièces que les sifflets ont commencé. On a continué toujours jusqu'au commencement de l'an 1696.

[…]

[Au sein de questions / réponses]

Q. En quelle année et à quelle pièce on a commencé à siffler au parterre ?
R. Au Baron des Fondrières, du sieur Corneille le jeune et de Visé.

Édition disponible sur Openlibrary, p. 29-30, 43, 111.


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