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1635

Georges de Scudéry, La Comédie des comédiens

Paris: Courbé, 1635

La vertu des comédiennes

Dans la troisième scène de l'Acte I, la comédienne Beau Soleil se plaint de la réputation injustifiée qui poursuit les actrices. Cela conduit certains spectateurs à venir importuner les comédiennes dans leurs loges ;parmi les portraits de fâcheux, on trouve celui du mauvais critique :

Les eaux dormantes ne sont pas les plus saines, et la vertu se trouve pour le moins aussi souvent dans un esprit libre, que parmi ces âmes retenues, qu'on a droit de soupçonner d'hypocrisie, mais c'est une erreur où tombe presque tout le monde, pour ce qui regarde les femmes de notre profession, car ils pensent que la farce est l'image de notre vie, et que nous ne faisons que représenter ce que nous pratiquons en effet, ils croient que la femme d'un de vous autres l'est indubitablement de toute la troupe ; et s'imaginant que nous sommes un bien commun, comme le Soleil ou les Éléments, il ne s'en trouve pas un, qui ne croit avoir droit de nous faire souffrir l'importunité de ses demandes, et certes c'est bien de là que procède la plus fâcheuse chose, qui s'éprouve à notre condition : car comme nos chambres tiennent des temples, en ce qu'elles sont ouvertes à chacun, pour un honnête homme qui nous y visite, il nous faut endurer les impertinences, de mille qui ne le sont pas, l'un viendra branler les jambes toute une après-dînée sur un coffre sans dire mot, seulement pour nous montrer qu'il a des moustaches, et qu'il les sait relever, l'autre un peu moins rêveur que celui-ci, mais non pas plus habile homme, fera toute sa conversation de bagatelles, aussi peu considérables que son esprit : et tranchant de l'officieux, il voudra placer une mouche sur la gorge, mais c'est à dessein d'y toucher : il voudra tenir le miroir, attacher un nœud, mettre de la poudre aux cheveux, et prenant sujet de parler de toutes ces choses, il le fait avec des pointes aussi nouvelles, et aussi peu communes que la Guimbarde, ou Lanturlu. Le troisième prenant un ton plus haut, et trop fort pour son haleine, s'engage inconsidérément à la censure des poèmes que nous aurons représentés : l'un sera trop ennuyeux pour sa longueur, l'autre manque de jugement en sa conduite, celui-là est plat et trop stérile en pensées, celui-là au contraire à force d'en avoir s'embarrasse, et parle Galimatias ; un est défectueux en ce qu'il ne s'attache pas aux règles des anciens, ce qui témoigne son ignorance ; l'autre pour les avoir trop religieusement observées, est froid, et presque du tout sans action ; celui-ci ne lie pas son discours, et fait des fautes au langage, celui-là n'a pas la politesse de la Cour ; l'un manque des ornements de la poésie ; l'autre est trop abondant en fables ;ce qui sent plus le pédant que l'honnête homme, et plus l'huile que l'ambre gris ; enfin, il n'en échappe pas à la langue de ce critique, qui faisant ainsi le procès à tant de bons esprits, sans les ouïr en leurs défenses, montre qu'il est aussi mauvais juge en matière de vers que le sont en la connaissance de l'honnêteté des femmes ceux qui nous soupçonnent d'en manquer.

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