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1613

Jean Gracieux dit Des Lauriers ou Bruscambille, Les Nouvelles et plaisantes imaginations de Bruscambille

Paris : impr. de P. Huby, 1613

En faveur de la comédie

Dans ce prologue, Bruscambille répond méthodiquement à toutes les accusations portées à l'encontre des comédiens et du théâtre :

En faveur de la comédie

Pour ne laisser notre théâtre vide de prologue, je vous entretiendrai, en attendant que nos acteurs soient préparés, non d’un discours fluide, mais rude, grossier, mal agencé : toutefois espérant que la diversité vous sera agréable, je l’ai bien osé entreprendre. Je draperai donc sur nous-mêmes, et plaiderai la cause des comédiens, vous faisant arbitres du différent mû entre eux et la lie du peuple, entre eux, dis-je, et cet hydre à cent chefs qui ne se plaît qu’à son opiniâtre ignorance, foule les sciences sous le pied, abhorre la comédie et ses professeurs plus qu’une peste, qu’un basilic et se l’imagine un précipice de toute la jeunesse.
Leur plainte est fondée sur ce, disent-ils, que telle vie libertine, vagabonde et inutile au public, est notée de toute espèce d’infamie, que ce qu’ils en usent n’est que faute d’autre meilleure occupation, et qu’en un mot on les devrait reléguer par delà les colonnes d’Hercule, à l’exemple de Marc Aurèle. […]
Je ne dirai point encore qu’anciennement [la comédie] tenait le premier lieu après la piété, et que, les cérémonies divines achevées, on exhibait tels spectacles en public, comme aux courses olympiques, comme Auguste César après la bataille d’Axia, comme Tibère et son successeur firent célébrer des jeux sacrés à sa mémoire, et qui fait encore pour nous, la comédie ne se trouva point censurée par aucune loi expresse des chrétiens, ou si elle l’est, desquels je mettrai la tragédie que S. Grégoire de Naziance composa sur un sujet digne de sa piété ; Saint Thomas d’Aquin approuve les Instructions pourvu qu’ils ne soient scandaleux de paroles et d’actions.
Quand à l’infamie comique, je ne trouve rien de plus injuste et déraisonnable. Nos jurisconsultes l’appellent Exace, qui ne signifie autre chose que mercenaire, à cause de l’argent que l’on exige des spectateurs. Ceux à plus forte raison sont bien infâmes qui tiennent un breland, un bordel ou bien une taverne, attirant par ce moyen la jeunesse à une infinité de débauches cent fois plus périlleuses et de plus de frais, où Bacchus appelle les uns aux armes, où le désespoir d’avoir perdu son argent enfante aux autres une infinité d’exécrables blasphèmes, et cependant nos impudents détracteurs n’en parlent point : telles gens savent bien comme il faut épuiser les meilleures bourses de France, sans contrôle et sans toute licence.
Il y a plus que les comiques, à ce qu’ils disent, étaient anciennement privés du droit de bourgeoisie romaine. Il y a bien ici de l’erreur de calcul, de l’équivoque aux qualités et de la confusion parmi l’ignorance de ceux qui ne savent pas discerner les comédiens d’avec les mimes, pantomimes, timéliques, et autres triacleurs véritablement exclus de ce privilège. Mais de dire qu’un Roscius, qui, de son temps, marchait au pair avec les plus grands seigneurs de Rome, que Cicéron même en une sienne oraison défendit contre ceux de sa ville, n’a joui d’un simple droit de bourgeoisie, bon Dieu ! quel apparent mensonge de l’inférer ou plutôt quelle lourde bêtise de le croire !
Voici encore une autre injure dont nos ennemis font trophée ou plutôt ressuscitent la montagne d’Esope, que quiconque monte une fois sur le théâtre se rend indigne d’exercer la moindre magistrature : calomnie répugnante à l’usage. Jaçoit que les lois, à la vérité, conseillent de laisser cette profession pour en embrasser une plus sérieuse ; mais vu la facilité qu’elle donne quant et quant pour se relever d’une si légère chute, tel obstacle ne vaut pas le parler, joint que nous voyons les enfants des meilleures maisons exercés en leur collège à ce louable et vertueux passe-temps, pour se façonner la grâce, dénouer la langue et s’en servir comme d’un préparatif à chose meilleure. Aussi n’y a-t-il au monde de plus ressemblant au barreau que le théâtre : la grâce, les gestes et l’assurance y sont également requis.
Reste la dernière objection de nos détracteurs qui disent qu’encore de deux maux élisant le moindre, nos représentations tragiques et comiques sembleraient tolérables, mais qu’une farce garnie de mots de gueule gâte tout, que d’une pluie contagieuse elle pourrit nos plus belles fleurs. Ah ! vraiment, pour ce regard je passe condamnation. Mais à qui en est la faute ? À une folle superstition populaire qui croit que le reste ne vaudrait rien sans elle, et que l’on n’aurait pas du plaisir pour la moitié de son argent. Dès à présent nous y renonçons, et protestons de l’ensevelir en une perpétuelle oubliance, si vous le voulez ; elle ne nous sert que d’un faix insupportable et préjudiciable à la renommée. En cas que je puisse dire avec vérité que la plus chaste comédie italienne soit cent fois plus dépravée de paroles et d’actions qu’aucune d’icelles, et que notre patrie nous soit beaucoup plus marâtre qu’aux étrangers par ce sinistre jugement. Recevez donc nos raisons de bonne part ; embrassez l’équitable parti des comédiens, voyez le bon droit de leur cause, ne permettez point qu’ils soient calomniés, et vous les obligerez à un perpétuel service.

Édition de 1615 en ligne sur Google Books p. 116-121


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