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1655

(Nicolas Drouin dit) Dorimond, L'Apologie du théâtre

Rouen, Imprimerie de David Petit, 1655

Fonctionnement de l'effet moral

Dans cette apologie du théâtre dédiée à Mademoiselle, Dorimond explique comment le théâtre peut dégouter du vice les spectateurs, et en particulier les spectatrices:

Les Spartes faisaient voir à leurs jeunes enfants
Des esclaves yvrez [ivres?] sur la terre rampants,
Et leur montraient par là combien l’ivrognerie,
Ôtant le jugement, produisait d’infamie,
Et que dedans l’excès des molles voluptés,
L’honneur et la vertu n’ont point de sûretés ;
Le théâtre de même expose à notre vue
Le vice, mais sans fard, la tête toute nue,
Il nous fait voir ce monstre ennemi de l’honneur,
Afin qu’en le voyant il puisse faire horreur.
Quel homme assez méchant, quelle humeur sanguinaire,
Voit sur la scène un traître accablé de misère,
Pleurer, gémir, crier, lever ses tristes yeux
Pour attirer sur lui l’assistance des Cieux ?
Quel esprit enragé peut voir dans cet abîme
Ce criminel puni, sans sortir de son crime ;
Sans quitter à l’aspect d’une telle action
Le vice où l’a plongé son inclination ?
Vu[sic] parricide Oreste exposé sur la scène,
Ressent de ses forfaits la légitime peine,
On voit une furie, en portant la terreur,
S’arracher ses serpents pour les mettre en son cœur ;
Présenter à ses yeux pour croître sa misère,
Le fantôme sanglant de sa dolente mère,
Qui lui vient reprocher son inhumanité,
Et lui montrer le coup que son bras a porté.
Quel ennemi du bien, quel tigre insatiable,
Sur le point de se rendre et cruel et coupable,
Ne craindra pas l’effet d’un semblable tourment,
Ne fuira pas le mal pour fuir le châtiment ?
Enfin sur le théâtre on peut voir un [sic] image
Et du bien et du mal dont on tire avantage ;
Le meurtrier, le voleur, l’ingrat, l’ambitieux,
L’adultère, l’impie et tous les vicieux
Y voyant des crayons de leurs méchantes âmes,
Voyent aussi des fers, des bourreaux et des flammes,
Qui portant de l’effroi dans leurs cœurs obstinés,
Donnent un frein sévère à leurs sens mutinés.
Mais si nous y voyons ces tableaux effroyables,
L’horreur des vertueux, et l’effroi des coupables,
Nous y voyons aussi briller comme un Soleil
De toutes les vertus un portrait sans pareil.
Si le méchant se rend, s’il change de nature,
A l’aspect des objets que la scène figure,
Sans doute que le bon trouvera des appas
A suivre l’innocence et l’honneur pas à pas,
Alors qu’il les verra placés dessus des trônes
Dispenser aux grands cœurs des prix et des couronnes ;
Les passer des malheurs dans la félicité
Et des adversités à la prospérité.
La femme le plus simple et la plus ignorante,
Y voyant des vertus la lumière brillante,
Y voyant pratiquer une bonne action,
Prête de succomber à la tentation,
Y trouvera l’honneur si beau, si plein de charmes,
L’y verra maintenir par de si fortes armes,
Qu’elle pourra s’instruire à faire des efforts,
Pour se conserver pure et de l’âme et du corps,
Et se garantira par cette connaissance
Du vice où l’aurait pu plonger son ignorance ;
Enfin la comédie enseigne un beau chemin,
Et pour nous y conduire elle nous tend la main.

Ouvrage signalé par F. Rey p.6-9


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