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1708

Jean-François Regnard, La Critique du légataire universel

Paris : P. Ribou, 1708

Parodie de la Critique de l'Ecole des femmes

On retrouve dans cet échange de spectateurs à la scène V, des arguments proches de ceux des personnages de la Critique de l’École des Femmes de Molière, mais présentés sur un mode dérisoire :

LA COMTESSE.
Je ne connais autre que monsieur Bredouille ; j'ai été vingt fois à sa maison de campagne : c'est lui qui a inventé les poulardes aux huîtres, les poulets aux œufs, et les cervelles aux olives. Si je n'étais pas retenue, je lui proposerais de nous donner ce soir à souper, pour nous dédommager de la mauvaise comédie que nous venons de voir.

MONSIEUR BREDOULLLE.
Qu'appelez-vous mauvaise comédie ? Mauvaise comédie !... Je la trouve excellente : je ne me suis jamais tant diverti ; et monsieur Clistorel m'a guéri de toute la mauvaise humeur que j'y avais apportée.

LA COMTESSE.
D'où venait ton chagrin, mon gros bredouilleux ? Quelque quartaut de ta cave a-t-il échappé à ses cerceaux ? Et pleures-tu, par avance, le malheur qui nous menace de ne point avoir de glace pendant l'été ?

MONSIEUR BREDOULLLE.
Mon cuisinier avait, à dîner, manqué sa soupe ; ses entrées ne valaient pas le diable, et le coquin avait laissé brûler un faisan qu'on m'avait envoyé de mes terres. Je n'ai pas laissé d'y rire tout mon soûl, tout mon soûl.

LA COMTESSE.
Comment ! Tu as pu rire de pareilles sottises ? Si je te faisais l'anatomie de cette pièce-là, tu tomberais dans un dégoût qui t'ôterait l'appétit pendant tout le carnaval.

MONSIEUR BREDOULLLE.
Ne me la faites donc pas ; il n'est point ici question d'anatomie. Est-ce que le testament ne vous a pas réjouie ? Il y a là deux item qui valent chacun une comédie. Et cette veuve, morbleu, cette veuve, n'est-elle pas à manger ? Ce Poisson est plaisant, il me divertit : j'aime à rire, moi ; cela me fait faire digestion.

LA COMTESSE.
Et c'est justement la scène de la veuve qui m'a donné un dégoût pour la pièce ; j'ai une antipathie extrême pour cet habit ; et si mon mari mourait aujourd'hui je me remarierais demain pour n'être pas obligée de me représenter sous un si lugubre équipage. Je crois que je ne ferais pas mal dès à présent de choisir quelqu'un pour lui succéder. Qu'en dis-tu, Marquis ?

LE MARQUIS.
Ce serait très bien fait.

LA COMTESSE.
Et que dites-vous, s'il vous plaît, de ce gentilhomme normand, monsieur Alexandre Choupille, de l'enfant posthume, du Clistorel, et de la servante qui ne veut pas être interloquée ?

MONSIEUR BREDOULLLE.
Hé bien, interloquée, interloquée ! Où est donc le grand mal ? N'ai-je pas été interloqué, moi qui vous parle, dans un procès que j'ai avec un de mes fermiers ?

LA COMTESSE.
Eh ! Fi donc, monsieur ! Fi donc !

MONSIEUR BREDOULLLE.
Pour moi, je n'y entends point tant de façon ; quand une chose me plaît, je ne vais point m'alambiquer l'esprit pour savoir pourquoi elle me plaît.**

LE MARQUIS.
Monsieur parle de fort bon sens.

MONSIEUR BREDOULLLE.
Madame la Comtesse, par exemple, je ne la détaille point par le menu ; il suffit qu'elle me plaise en gros : je n'examine point si elle a les yeux petits, le nez rentrant, la taille renforcée ; elle me plaît, je n'en veux point davantage.

Extrait signalé par J.M. Hostiou.  
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