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1664

Sebastiano Locatelli, Voyage de France

Voyage de France, mœurs et coutumes françaises (1664-1665), relation de Sébastien Locatelli, traduite sur les manuscrits autographes et publiée, avec une introduction et des notes, par Adolphe Vautier, Paris, A. Picard et fils, 1905.

Des spectatrices rieuses

Ce manuscrit italien (traduit en français au XIXe siècle) raconte le voyage en France que fit Sébastien Locatelli en 1664-1665. Dans l'épisode qui suit, la fiction et la réalité se mêlent ici quand les spectatrices françaises d'une petite comédie représentée en italien sont dépeintes de manière si burlesque qu'elles en deviennent des personnages de comédie :

Après avoir dîné et pris un peu de repos, nous allâmes jusqu'à Modane, bourg mal bâti comme ceux du pays, mais où nous eûmes à souper de bonnes truites. Il fallut sécher de nouveau nos vêtements et nous mettre au lit, où nous nous fîmes servir à souper par des jeunes filles qui semblaient incapables d'autre chose que de rire. Après avoir donc mangé gaiement, nous fîmes une sorte de petite comédie pour retenir longtemps avec nous ces deux maritornes et leur permettre de rire tout leur saoul. Comédie certes vraiment burlesque si on l'avait représentée sur le théâtre car ces filles n'entendant pas un mot de notre langage ni nous un seul du leur, nous passâmes ainsi plus d'une heure à gesticuler et à leur faire des signes. Mais finalement, voyant qu'elles commençaient à s'approcher un peu trop des lits de mes jeunes compagnons, et que ceux-ci s'ingéniaient à les prendre par les bras, ce fut moi qui terminai la pièce en sautant à bas du lit et en mettant les servantes hors de ma chambre. Je poussai le verrou pour nous défendre contre la violence de cette jeunesse. Quelle belle kyrielle d'injures elles me dirent ! Je le suppose parce qu'elles finirent de rire et que, se voyant dehors, elles donnèrent des coups de pied dans la porte tout en parlant sans cesse. Le repos ne vint pas assez vite, car le démon voulait lui aussi essayer de jouer son rôle dans la comédie en dialoguant secrètement avec nous. Ces filles n'étaient pas belles, mais toutes jeunes et fort bien en chair. Leur gaieté extraordinaire montrait bien qu'elles avaient d'excellentes meules pour réduire en farine quiconque irait moudre à leur moulin.

Relation de voyage en ligne sur Gallica, p. 15-16.


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