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1747

Louis Racine, Réflexions sur la poésie

Paris : Desaint et Saillant, 1747

Confidences tardives de Boileau sur Andromaque

Parmi les réactions à la tragédie Andromaque de son père, Louis Racine rappelle le jugement sévère de Boileau, un spectateur pas comme les autres.

Boileau, convaincu que dans le poème tragique tout doit être noble, tout doit exciter la terreur ou la pitié, critiquait dans cette pièce une peinture trop naturelle de nos faiblesses, ou, pour mieux les nommer, de nos extravagances amoureuses. Je me souviens que daignant un jour m’entretenir de ces matières, quoique je fusse encore très jeune, après m’avoir avoué qu’il avait longtemps, comme un autre, admiré la scène fameuse qui commence par ce vers :

Eh bien, Phénix, l’amour est-il le maître ?

Il m’assura qu’il avait depuis changé de sentiment, ayant reconnu qu’elle ne s’accordait pas avec la dignité du cothurne. « En effet, me dit-il, qu’on ôte le nom de Pyrrhus de cette scène, et qu’on ne songe plus aux fils d’Achille, qu’y trouve-t-on que la peinture de ces folles incertitudes que Térence dépeint dans ce vers :

Excludit, revocat, redeam ? Non si obsecret

Il m’ajouta qu’il se repentait d’avoir fait cette réflexion trop tard, parce que s’il l’eut faite dans le temps, il eut obligé l’auteur à supprimer ce morceau. Je remarquai alors le sévère jugement de ce grand critique, et quel avait été son empire sur son ami, puisqu’il ne doutait point de la docilité avec laquelle il eut sacrifié une scène si brillante.
Boileau connaissait mieux qu’un autre le prix de la tragédie d’Andromaque, puisqu’il la faisait aller à la postérité de pair avec Cinna.

Ouvrage disponible sur Gallica dans la rééditionde l’édition de 1808 des Œuvres complètes, tome 2, p. 364-365


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