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1674

André Félibien, Les Divertissements de Versailles, donnés par le Roi au retour de la conquête de la Franche-Comté, en l’année 1674

Paris : J. B. Coignard, 1674

Jeux de feux et d’eau

Lors de la cinquième journée des Divertissements de Versailles de 1674, le roi assiste à des jeux de feux et d’eau imaginés par Le Brun. Félibien décrit un véritable spectacle qui surprend la cour.

Quand le roi fut placé sous une grande tente qu’on avait dressée entre le bassin d’Apollon et le Canal, le sieur le Brun qui était l’auteur de ces illuminations, ayant reçu le signal, on entendit le bruit du canon et de plus de quinze cent boëtes qui tirèrent autour du Canal, et en même temps les bords de la pièce d’eau, qui avaient paru éclairés de fleurs de lis et de chiffres, furent environnés d’un ornement continu de mêmes fleurs de lis et de mêmes chiffres, mais brillants de vives clartés de plusieurs lances à feu qui se trouvèrent allumées en un moment. Les perrons et les piédestaux parurent ornés de semblables lumières, qui marquaient les chiffres et les armes du roi ; et de toutes ces décorations il sortit un nombre infini de feux, qui remplirent l’air de cent figures différentes. Mais du Dragon qui était sur le Canal, l’on vit sortir par ses yeux, par ses naseaux, et par sa gueule comme des torrents de feu, d’où s’élevait une épaisse fumée, qui montrant quelque chose de terrible, faisait voir cependant d’autres beautés : car formant comme de gros nuages rouges et bleuâtres, tels qu’on en voit dans le temps des grands orages, il en sortait mille éclairs et mille foudres, qui tantôt faisant de longues traînées en l’air, tantôt serpentant de part et d’autre, tantôt s’élevant et se plongeant dans l’eau, faisaient mille différents effets. Un nombre infini de semblables feux partaient en même temps des environs du Canal, pendant que le Dragon vomissait une si grande quantité, que sa gueule semblait un gouffre, d’où sortaient mille Lutins enflammés, qui se jouaient, ou qui se battaient ensemble. Toute la pièce d’eau en était couverte : ils entraient jusqu’au fond du Canal, et après s’être promenés, tantôt sur la surface, tantôt entre deux eaux, ils s’élevaient par petits tourbillons de feu, et faisant en l’air mille tours, ils crevaient avec un bruit épouvantable, produisant en même temps une infinité d’autres feux qui faisaient de nouveaux effets. Tout ce que l’on voyait dans cette grande étendue de plus de trois cents toises, n’était plus ni du feu, ni de l’air, ni de l’eau. Ces éléments étaient réellement mêlés ensemble, que ne les pouvant reconnaître, il en paraissait un nouveau, et d’une nature toute extraordinaire. Il semblait être composé de mille étincelles de feu, qui comme une épaisse poussière, ou plutôt comme une infinité d’atomes d’or, brillaient au milieu d’une plus grande lumière. Parmi tout cela il s’élevait sans cesse de toutes parts mille fusées, qui coiffaient le plus haut de l’air d’une infinité d’étoiles étincelantes, pendant que d’autres plus grosses s’élevant encore plus haut avec un bruit et une impétuosité épouvantable, semblaient attaquer les astres mêmes par mille coups redoublés, et par mille autres feux qu’elles jetaient en l’air, qui retombaient en serpenteaux, ou sous d’autres différentes figures. Ce feu et ce bruit était continuel par la furieuse quantité des ballons et des grenades d’eau qui se mêlaient avec les ballons d’air et les foucades d’un nombre infini de saucissons. Mille partements de fusées s’étendaient, tantôt en forme de queue de paon, tantôt formaient autour du Canal des aigrettes et des gerbes de feu d’une grosseur et d’une clarté extraordinaire. Enfin toute cette grande pièce d’eau fut environnée du nombre de cinq mille fusées, qui étant parties toutes à la fois, s’élevèrent en l’air, et composèrent un dôme de lumière qui couvrit toute la tête du Canal, sur lequel on vit tomber en forme d’une grosse pluie une infinité d’étoiles, d’une clarté qui surpassait celles des véritables étoiles : ce qui mit fin à ce beau feu, dont l’on peut juger des effets extraordinaires, puisqu’il était composé de près de trente mille différentes pièces d’artifice, dont il y en avait plusieurs qui chacun en particulier en contenait plus de vingt-cinq douzaines.
Mais comme on laissa aussi embraser toute la machine qui était sur le Canal, avec les sept grands bateaux qui la portaient, cet embrasement fut encore un nouveau spectacle qui surprit ceux qui ne s’y attendaient pas, et qui fit paraître davantage la grandeur et la magnificence du divertissement.

Relation disponible sur Gallica dans l’édition de 1676, p. 24-26


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