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1700

Évariste Gherardi, La Descente de Mezzetin aux Enfers

Paris, J. B. Cusson et Pierre Witte, 1700.

Les sifflets, moment de repos des comédiens

Dans la deuxième des scènes françaises de La Descente de Mezzetin aux Enfers, une pièce de Jean-François Regnard créée en 1689, Colombine se fait passer pour un auteur auprès de Mezzetin. Elle affirme qu’elle a composé des comédies suffisamment mauvaises pour n’être jouées qu’une fois et qu’elle y prévoyait des passages destinés à être sifflés du public.

COLOMBINE
[…] C’est moi qui ai enrichi les comédiens français, et il n’y avait point d’hiver que je ne leur donnasse sept ou huit pièces, tant sérieuses que comiques.


MEZZETIN
Et les jouait-on longtemps ?


COLOMBINE
Jamais qu’une fois : mais aussi, tout Paris venait se crever à la première représentation ; car personne ne voulait attendre la seconde, de peur de ne la point voir.


MEZZETIN
J’aurais cru que c’eût été là le moyen d’envoyer les comédiens à l’hôpital.


COLOMBINE
C’est ce qui vous trompe. Une comédie nouvelle, pour être bonne, ne se doit jouer qu’une fois ; quand elle va jusqu’à deux, ma foi on s’ennuie. J’ai mis le siècle dans ce goût-là, et si vous y prenez garde, depuis moi tous les auteurs donnent là-dedans. Ils ont raison au bout du compte ; car comme les bonnes choses aujourd’hui n’ont point de cours, pour peu qu’une méchante pièce puisse être représentée une fois, voilà les comédiens riches.


MEZZETIN
Les vôtres étaient donc sur ce pied-là ?


COLOMBINE
Vous pouvez croire que je me suis mis à la mode tout des premiers. De plus, je n’ai jamais voulu ôter au public l’usage récréatif des sifflets. Tout au contraire, je marquais dans mes rôles les endroits où l’on devait siffler, afin que l’acteur se reposât et qu’il reprît haleine. C’est le jugement qui conduit tout cela.


MEZZETIN
Et moi je voudrais que les sifflets fussent au diable. Quand cette quinte-là prend au parterre, il démonterait et Titus et Bérénice.


COLOMBINE
Je m’étais, de mon vivant, abonné avec un marchand de sifflets, qui était dans son métier le premier homme du monde.


MEZZETIN
Les comédiens vous ont bien de l’obligation.


COLOMBINE
Il en faisait pour la prose, pour les vers, pour les Français, pour les Italiens. Mais ma foi où il triomphait, c’était pour l’opéra.


MEZZETIN
Est-ce qu’on se servait encore de sifflets de votre temps à l’opéra ? Cette mode-là est passée. Fi ! Cela est bourgeois ; on se sert présentement de sonnettes ; cela est bien plus harmonieux.

Jean-François Regnard, La descente de Mezzetin aux Enfers, dans Évariste Gherardi, Le théâtre italien de Gherardi, ou le Recueil général de toutes les comédies et scènes françaises jouées par les comédiens italiens du roi, pendant tout le temps qu'ils ont été au service, Amsterdam, Adrian Braakman, 1701, t. II, p. 298-299.

Extrait disponible sur Google Books.


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