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1700

Évariste Gherardi, Les Chinois

Paris, J. B. Cusson et Pierre Witte, 1700.

Allégorie du Parterre

Dans la dernière scène des Chinois, une comédie de Regnard et Dufresny créée en 1693, Mezzetin incarne une allégorie du Parterre qui prend la parole face aux comédiens français et italiens.

UN PORTIER à Roquillard
Monsieur, il y a là-bas un gros homme qui fait le diable à quatre pour entrer. Il dit qu’il s’appelle le Parterre.

ARLEQUIN
Malepeste ! Il faut lui ouvrir la porte à deux battants, c’est notre père nourricier. Qu’il entre — en payant, s’entend.

MEZZETIN représentant le Parterre, habillé de diverses façons, ayant plusieurs têtes, un grand sifflet à son côté, et plusieurs autres à la ceinture, prend Roquillard par le bras et le jette parterre.
À bas, coquin !

ROQUILLARD
Le Parterre a le ton impératif.

LE PARTERRE
Qui vous fait si téméraire, mon ami, d’usurper ma juridiction ? Ne savez-vous pas que je suis seul juge naturel, et en dernier ressort, des comédiens et des comédies ? Voilà avec quoi je prononce mes arrêts. Il donne un coup de sifflet.

On apporte un fauteuil au Parterre.

ARLEQUIN au Parterre
Prend un siège, Parterre, prends, et sur toute chose,
N’écoute point la brig[u]e en jugeant notre cause.
Prête, sans nous troubler, l’oreille à nos discours ;
D’aucun coup de sifflet n’en interrompt le cours.

LE PARTERRE repoussant le fauteuil
Tu te moques, mon ami. Le Parterre ne s’assoit point. Je ne suis pas un juge à l’ordinaire, et de peur de m’endormir à l’audience, j’écoute debout.

COLOMBINE
Le style impérial, l’attitude romaine et le clinquant héroïque de ce déclamateur pourraient m’alarmer, si je parlais devant un juge moins éclairé que son Excellence Monseigneur le Parterre.

ARLEQUIN
Ah ! ah ! Son Excellence ! Monseigneur ! Ah, voilà bien les Italiens, qui tâchent d’amadouer l’auditeur dans un prologue, et font amende honorable pour demander grâce au Parterre !

LE PARTERRE
Ils ont beau faire, ils n’en sont pas quittes à meilleur marché que les Fran[ ? suite ?] Mes instruments à vent vont toujours bon train.

COLOMBINE
Non, ce n’est point la flatterie qui me dénoue la langue. Je rends seulement les hommages dûs à ce souverain plénipotentiaire. C’est l’éperon des auteurs, le frein des comédiens, le contrôleur des bancs du théâtre, l’inspecteur et curieux examinateur des hautes et basses loges, et de tout ce qui se passe en icelles ; en un mot, c’est un juge incorruptible, qui bien loin de prendre de l’argent pour juger, commence par en donner à la porte de l’audience.

LE PARTERRE
Hélas ! Je n’ai pas seulement mes buvettes franches. Demandez le plutôt à la limonadière. […]

JUGEMENT DU PARTERRE

LE PARTERRE
Pour reconnaître en quelque façon le désintéressement de la troupe italienne, qui ne me fait jamais payer que quinze sols, et qui me donna la comédie gratis à la prise de Namur, j’ordonne qu’Octave épousera Isabelle.

ARLEQUIN jetant ses plumes.
O tempora ! O mores ! J’appelle de ce jugement aux loges.

LE PARTERRE
Mes jugements sont sans appel.

Jean-François Regnard et Charles Dufresny, Les Chinois, dans Évariste Gherardi, Le théâtre italien de Gherardi, ou le Recueil général de toutes les comédies et scènes françaises jouées par les comédiens italiens du roi, pendant tout le temps qu'ils ont été au service, Amsterdam, Isaac Elzevir, 1707, t. IV, p. 266-278.


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