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1701

François Gacon, Le Poète sans fard ou discours satiriques en vers

s.l.

Historique de la querelle de la moralité du théâtre

La satire VI de ce recueil de satires est une réponse directe à la parution d'un livre de Laurent Pégurier attaquant le théâtre. Le satiriste ici retourne aux origines pour justifier la parfaite moralité du théâtre contemporain dont il dresse un rapide panorama.

SATIRE VI.

AU SIEUR LAURENT PEGURIER.

Téméraire censeur, qui veux nous faire un crime,
D’un plaisir reconnu de tout temps légitime :
Contre la comédie en vain dans un écrit,
Tu vomis à longs flots l’aigreur de ton esprit.
Le théâtre appuyé du pouvoir monarchique,
Redoute peu l’effort de ta fade critique ;
Et l’on verra toujours cet innocent plaisir
Des plus honnêtes gens occuper le loisir.
Jadis quand il offrait d’infâmes caractères,
Je sais qu’il s’attira la censure des Pères,
Alors chez les Romains un acteur effronté,
Du discours à l’effet poussait l’impureté,
Et par un coup barbare ensanglantant la scène,
Donnait à tout le cirque une joie inhumaine :
Atrée y préparait un horrible festin,
Et Médée y venait le poignard à la main.
L’un et l’autre égorgeant d’innocentes victimes,
À la fable ajoutaient de véritables crimes :
Alors avec raison dans leurs discours pieux,
Les Pères défendaient ce spectacle odieux.
Mais depuis qu’à la foi Rome par eux soumise
Eût goûté quelque temps le doux joug de l’Église,
Le théâtre reprit son antique splendeur,
Et n’osa s’écarter des lois de la pudeur.
Loin de le condamner, les Saints Pères eux-mêmes,
Voulurent l’embellir par des sacrés poèmes ;
Et c’est dans cet esprit qu’on a vu si longtemps
Nos mystères en proie aux auteurs ignorants.
Sous ses deux derniers rois, la France plus polie,
De ces vieux histrions reconnût la folie ;
Et laissant l’évangile à traiter aux docteurs,
Chercha d’autres sujets propres à ses acteurs.
Corneille après Rotrou de la savante Grèce,
Sur la scène française employa la richesse,
Et Racine y fit voir d’un style plus uni,
La vertu couronnée et le vice puni.
Ainsi dans Mithridate un fils traître à son père,
Concourt par sa révolte au bonheur de son frère ;
Tite dans Bérénice écoutant son devoir,
N’ose pour son amour faire agir son pouvoir,
Et livrée aux remords qu’un crime affreux excite,
Phèdre prend du poison, et décharge Hypolite.
En un mot, chaque pièce est un riche tableau,
Où le mal paraît laid, où le bien paraît beau.
On y voit aussi bien que dans le meilleur livre,
Le mal pour l’évider, et le bien pour le suivre ;
Aidé par sa raison, et libre en son désir,
Le spectateur écoute, et n’a plus qu’à choisir.
Ainsi le créateur en défendant la pomme,
Mit le bien et le mal au choix du premier homme :
À l’exemple d’Adam si quelque faible esprit,
Y prend au lieu du bien le mal qui le séduit :
La tragédie en soi n’est pas plus condamnable 
Que la loi dont Adam fit un mépris coupable.
Cet art ingénieux, ce noble amusement,
Des longs travaux du jour délasse utilement,
Et quel autre avant toi Pédant plein d’arrogance
A jamais prétendu que ce fût une offense,
D’écouter une pièce où d’un vers enjoué,
Le Tartuffe imposteur par Molière est joué.
Aussi malgré ton livre, et sa fausse doctrine,
On admire Corneille, on estime Racine,
Molière divertit et la cherté du pain
N’empêche pas d’aller applaudir Arlequin.

Satire en ligne sur Google Books, p. 21-23.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »