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1654

Christian Gottfried Franckenstein, Mémoires des intrigues galantes de la Reine Christine de Suède

Liège : François Broncart, 1710

Défense aux femmes de réciter sur le théâtre

Lors de ses voyages en Europe dont les Mémoires racontent les aventures, la reine de Suède se rend plusieurs fois à Rome. Lors de l’un de ses séjours, elle fréquente les théâtres pendant un Carnaval.

On introduisit alors les comédies publiques durant le Carnaval, à Torro di Nona, par les soins du Comte d’Alibert et de ses associés ; on y pratiqua une somptueuse loge pour la Reine, d’une magnificence extraordinaire, où les dorures et les autres ornements n’étaient pas épargnés, tapissée de dames et autres riches étoffes à dentelles et franges d’or. Cette loge pouvait contenir 15 ou 16 personnes, et il y avait toujours dix ou douze cardinaux qui venaient à la comédie pour faire honneur, et compagnie à la reine, aussi bien qu’en sa galerie vitrée au bout du cours en place S. Marc, au coin de la rue S. Romuald, où elle avait loué un petit palais, pour voir les mascarades dont tout le cours est rempli durant le Carnaval. La reine quoiqu’elle eut en ce temps-là passé sa quarantième année, conservait encore beaucoup de brillant : enfin l’ouverture du théâtre se fit et les comédiens réussirent au gré de tout le monde, d’autant plus que sa Majesté y fit introduire de belles chanteuses, qui charmaient les oreilles par la douceur de leurs voix, et les yeux par les agréments de leurs personnes, et par la magnificence de leurs habits. Entre les cardinaux qui fréquentaient la loge de la reine, le Cardinal Benoit Odescalchi n’y manqua jamais un soir, durant les cinq années que la reine maintint sa loge au théâtre, mais après la création du même Cardinal au pontificat, changeant d’humeur et de conduite tout d’un coup, il entreprit de détruire le théâtre où il avait coutume de prendre tant de plaisir, et pour en venir plus facilement à bout, il fit un édit rigoureux qui subsiste encore, par lequel il défendit aux femmes de réciter sur le théâtre, aimant mieux que de jeunes musiciens jouassent leurs rôles, revêtus de leurs habits, contre l’expresse défense de la Sainte écriture, qui défend aux hommes de porter les habits des femmes, parce que c’est une abomination devant Dieu. La nouveauté de ce spectacle y attirait tout le monde, et on avait peine à y entrer pour son argent, car il y avait pour lors un grand concours d’étrangers de marque, et ils avaient apporté les modes les plus nouvelles.

       

Mémoire disponible en BNF (M-19002), p. 84-87.


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