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1747

Louis Racine, Mémoires contenant quelques particularités sur la vie et les ouvrages de Jean Racine

Lausanne et Genève : M. M. Bousquet & Cie, 1747

Une comédie pour la Champmeslé

Dans ses mémoires, Louis Racine rapporte les critiques adressées par Mme de Sévigné à l’encontre de Bajazet dans ses lettres : la pièce serait froide et Racine n’écrit que pour la Champmeslé.

Si Corneille avait ses chagrins, son rival avait aussi les siens. Il entendait dire souvent que les beautés de ses tragédies étaient des beautés de mode, qui ne dureraient pas. Mme de Sévigné, comme beaucoup d’autres, se faisait une vertu de rester fidèle à ce qu’elle appelait ses vieilles admirations. Voici quelques endroits de ses lettres qui feront connaître les différents discours qu’on tenait alors ; et ces endroits, quoique pleins de jugements précipités, plairont à cause de ce style qu’on admire dans une dame, et qui fait lire tant de lettres qui n’apprennent presque rien. C’est ainsi qu’elle parle de Bajazet avant que de l’avoir vu.

« Cette pièce, dit-on, est autant au-dessus de Corneille, que Corneille est au-dessus de Boyer. Voilà ce qui s’appelle louer. Du bruit de Bajazet mon âme importunée fait que je veux aller à la Comédie : nous en jugerons par nos yeux et nos oreilles ».

Après avoir vu la pièce, elle l’envoie à sa chère fille en lui disant :

« Je vous envoie Bajazet ; je voudrais aussi vous envoyer la Champmeslé pour réchauffer la pièce… Il y a des choses agréables, rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine. Sentons-en la différence. Jamais il n’ira plus loin qu’Andromaque… Il fait des comédies pour la Champmeslé, et non pas pour les siècles à venir : si jamais il n’est plus jeune et qu’il cesse d’être amoureux, ce ne sera plus la même chose ».

    Racine, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 1142.


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