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1694

[Anonyme], Scarron apparu à Madame de Maintenon et les reproches qu’il lui fait sur ses amours avec Louis le Grand

Cologne : J. Le Blanc, 1694

Le bal des refusés

Le roman est l’histoire d’une longue vision, celle de Scarron qui apparaît à Madame de Maintenon pour lui reprocher ses amours. L’histoire débute lors d’un festin et un bal organisés justement pour séduire le roi ; ce sera à cette occasion que Madame de Maintenon verra pour la première fois Scarron.

Pour cet effet Madame de Maintenon et toutes les autres dames de la cour eurent ordre de sa Majesté de lui faire toutes les caresses imaginables ; et pour charmer ce jeune cœur, elles se résolurent de paraître dans un bal que le duc d’Orléans leur donna au Palais Royal. Ce bal avait été précédé d’un superbe festin, où le Prince du Danemark, Monseigneur le Dauphin, les Princes et les Princesses furent invités. L’on y bût plusieurs santés : celle de sa majesté et des princes qui lui sont favorables dans la guerre présente, pour n’avoir pas voulu entrer dans la Ligue fut bue la première, après quoi l’on bût la santé de Monseigneur le dauphin et des autres princes de sang, laquelle fut suivie de celle du prince du Danemark […] Le festin fini l’on se prépara à danser, et toutes les princesses parurent dans une pompe et une magnificence qui n’a jamais eu de pareille. Monseigneur le Dauphin voyant que la compagnie grossissait d’un grand nombre de seigneurs, et de dames qui n’avaient pas été invitées, fit fermer l’appartement où il était avec les princes et les princesses, et laissa le reste du monde dans la nouvelle galerie du Palais avec les joueurs d’instruments, où l’on forma un second bal, et où plusieurs dames de qualité s’habillèrent en masques. Dans celui des Princes et des Princesses, la duchesse de Chartres étant Reine du Bal, fit danser plusieurs fois le Prince du Danemark. Rien n’était si charmant que cette jeune beauté, dont l’éclat des pierreries éblouissait la vue, et attirait les regards de tous les spectateurs. Madame de Maintenon, dont les soins ne contribuèrent pas peu au bel ordre qu’on y tint, fut prise à son tour pour danser, mais elle les refusa et satisfit aux honneurs qu’on lui faisait par une profonde révérence, sans sortir de sa place ; elle répondit au Prince de Danemark qui l’en priait que son caractère de Directrice de Saint-Cyr l’en dispensait ; qu’elle ne s’était trouvée là qu’en qualité de spectatrice, et qu’au reste il y avait longtemps qu’elle avait dit adieu aux plaisirs du monde. Il ne faut pas être surpris de cette réponse, à la vérité cette Dame est aujourd’hui le plus grand exemple de piété qu’il y ait en France. Quoi qu’il en soit, on n’a jamais vu les Dames françaises plus empressées à faire briller leur magnificence aux yeux des Princes étrangers qu’elles le parurent dans cette occasion. Sur le minuit il se fit plusieurs agréables métamorphoses, et chacun se travestit et se masqua. On y vit le Prince de Danemark déguisé en esclave more, suivi de huit seigneurs qui l’accompagnaient et qui étaient pareillement déguisés. Le Gouverneur du Prince faisant le personnage d’un Bacha, le présentait à toutes le dames de la cour à acheter, ce qui faisait le plus plaisant effet du monde. Douze jeunes seigneurs anglais que le roi Jacques y avait envoyés y parurent aussi déguisés en Quakres, ce qui fit rire la compagnie, et augmenta la joie des spectateurs. Après tant de diverses métamorphoses, l’on vit paraître un seigneur déguisé en diable. Il ne s’est jamais vu rien de si effroyable que cette mascarade, elle parut si terrible aux princesses, et principalement à la jeune duchesse de Chartres, qu’on eut toutes les peines du monde à calmer son émotion et sa frayeur, et comme elle était dans un état peu capable de supporter ces sortes de spectacles sans danger, on appréhendait fort quelle ne fit une fausse couche, cependant elle en fut quitte pour la peur.

       

Roman consultable à Tolbiac (BNF), p. 12-15.


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