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1697

Le Chevalier de Mailly, Avantures et lettres galantes, avec la promenade des Tuilleries. Contenant plusieurs histoires & plusieurs particularitez très-agréables

Amsterdam : E. Lucas, 1718

Les vendanges de l’amour

Parmi les nombreuses aventures recueilles et racontées par le chevalier de Mailly, l’une d’entre elle se produit pendant les vendanges de Surêne. Il s’agit d’une rencontre imprévue avec six belles dames et des cavaliers, ce qui devient l’occasion pour un bal.

Le marquis de Gourdon étant allé à la chasse de ce côté-là il vit quantité de gens qui vendangeaient, et cinq ou six belles dames avec autant de cavaliers, qui dansaient dans une vigne au son d’une musette. Cela l’obligea de s’en approcher ; et à vingt pas de cette compagnie, il en aperçut une autre qui faisait collation. Le marquis qui les connaissait les aborda, et après lui avoir témoigné la joie qu’on avait de le voir, on le pria d’être de la partie. Ceux qui dansaient en furent aussi, et ils se divertirent tous ensemble. Dans ce temps un conseiller du Parlement qui était de cette collation, et qui avait une des plus belles maisons de Surêne, offrit le soupé à la compagnie. Comme c’était un galant homme, et qui faisait les choses avec honneur, on l’accepta avec plaisir. Le repas fut splendide, et répondit à la beauté de l’assemblée. Sur la fin on commença à chanter. Chacun fit des merveilles, et particulièrement la comtesse de Châteaufort, qui chanta un air à boire d’une manière si agréable, que tout le monde en fut charmé. On peut dire que c’était la femme du Royaume la mieux faite, et de qui la beauté de la voix égalait celle du visage. Le marquis de Gourdon, qui était proche d’elle à table, ne pût s’empêcher de lui dire des douceurs, et il le fit de si bonne grâce, qu’elle en parut très satisfaite. Ce progrès le persuada qu’il en serait aimé, s’il s’attachait auprès d’elle. Il redoubla ses honnêtetés, et la dame qui n’y était pas insensible, y répondit toujours fort obligeamment. Peu après on se leva de table. On entra dans une chambre qui était fort magnifique, et éclairée de quantité de bougies. Les unes étaient sur des plaques, et les autres sur des lustres de cristal de roche qui faisaient un effet merveilleux. Il y avait aux quatre côtés de la chambre, quatre grands miroirs de Venise, accompagnés chacun de deux petits, qui rendaient ce lieu tout éclatant de lumière. On entendit aussitôt une troupe de violons et de hautbois qui jouaient parfaitement bien. Cette symphonie redoubla la joie. On se disposa à la danse, et le bal commença par une fort belle courante. Les dames qui ne dansaient pas étaient assises sur des sofas de velours, et les hommes à genoux sur des carreaux aux pieds de celles qu’ils aimaient. Le Marquis fut un de ceux qui brilla le plus dans cette assemblée. Il dansa avec la comtesse et il fit voir tant de grâce et de bonne mine, qu’elle en fut charmée. Quand le bal eut fini, un maître des comptes qui était à cette fête pria la compagnie de venir souper chez lui le lendemain. Il retint les violons et les hautbois et son régal ne fut pas moins galant ni moins splendide que celui du conseiller. Cette fête dura quatre ou cinq jours tantôt chez l’un tantôt chez l’autre, et chacun s’efforçait à qui ferait mieux. Jamais divertissement ne fut si agréable et ne donna tant de plaisir.

       

Roman consultable sur Gallica, p. 90-93.


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