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1656

Yves de Paris, L'Agent de Dieu dans le monde

Paris, Thierry, 1656

Les effets de la représentation de l'amour sur les spectateurs

Le chapitre XVIIII intitulé « Des théâtres et des Romans » analyse ces deux genres sous l'aune de leur moralité et des effets qu'ils produisent. Le théâtre présente un danger pour les spectateurs :

On dit que les théâtres sont aujourd'hui si réformés, qu’on n’y représente rien de lascif. Mais cette courtoisie, cet art d’aimer qui en apparence n’a rien que d’honnête, ne laisse pas de porter à la déshonnêteté, comme la main qui pousse quelqu’un sur le premier pas du précipice, l’y jette, quoiqu’elle ne le conduise pas jusques au fonds. Ce n’est pas un amour purement brutal et sensible, qui fait les grands désordres dans le monde, c’est cet autre amour qui tient de l’esprit, qui se repaît de ses idées, qui ne veut pour prix que des complaisances, qui se figure quelque chose de divin en son objet, et qui lui croit aussi rendre des respects fort innocents, c’est cet amour qui met les soupirs au cœur, les larmes aux yeux, la pâleur sur le visage, qui occupe jour et nuit toutes les pensées, qui porte à l’extravagance et à la fureur, et voilà l’amour que les plus chastes théâtres mettent dans les cœurs ! Vous étonnez-vous, si vos enfants pèchent contre ce qu’ils vous doivent de respect, s’ils déshonorent vos familles par des mariages désavantageux, et par quelque chose de pis, quand vous les menez vous-mêmes à cette leçon publique de désordres ? Ce n’est pas merveille s’ils en retiennent quelque chose ; s’ils se laissent aller à une désobéissance, qu’une voix commune fait passer pour une invincible fidélité, s’ils sont emportés par cette foule, s’ils tombent étant tirés et poussés dans un chemin si glissant. Je ne dis rien de la farce, dont le sujet, les gestes, et les paroles, les rencontres sont toujours dans une effrontée lascivité ; où les prostitutions, les rapts, les adultères, ces crimes qui noircissent les maisons, qui perdent les âmes, et offensent Dieu, passent pour des gentillesses, enfin où l’on pèche par les yeux et par les affectations de tout un peuple. C’est ce qui rend les comédie infâmes par les lois, et néanmoins si célèbres, par la coutume qu’elles ont, les puissances et les juges de la terre pour auditeurs, qu’elles sont à leur gage et sous leur protection.

Extrait signalé par F. Lecercle dans la « Bibliographie France » sur le site La Haine du Théâtre
Texte en ligne sur Gallica p. 468.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »