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1657

Philippe Quinault, La comédie sans comédie

Paris, Luyne, 1657

Sur la moralité du théâtre

Cette comédie de comédiens met en scène la vie d'une troupe de théâtre. Alors que La Fleur découvre avec consternation que deux comédiens prétendent obtenir la main de ses filles, les prétendants entreprennent de prouver la moralité du théâtre.

LA FLEUR :
La comédie ! hé, quoi, ce sont là vos grands biens ?
Vous n’êtes donc, messieurs, que des comédiens ?
Vous pouvez autre part aller chercher des femmes :
Mes filles ne sont pas des objets pour vos flammes.
Quoiqu’elles soient sans bien, tournez ailleurs vos pas ;
Elles ont de l’honneur, et vous n’en n’avez pas,
Vous, dont l’art dangereux n’a pour but que de plaire
Aux désirs déréglés de l’ignorant vulgaire ;
Vous qui ne faites voir pour belles actions
Que meurtres, ou larcins, ou prostitutions,
Et qui n’apprenez rien par tous vos artifices
Qu’à quitter les vertus pour pratiquer les vices ;
Vous, qu’un gain lâche anime, et qui ne profitez
Que du prix des forfaits que vous représentez.

JODELET :
Enfin, si l’on en croit ce vieillard vénérable,
Tous les comédiens ne valent pas le diable.

HAUTEROCHE :
Touchant la comédie, on peut dire, avec vous,
Qu’elle fut autrefois l’art le plus vil de tous ;
Et qu’en vos jeunes ans elle était encore pleine
De mille impuretés dignes de votre haine.
Mais, depuis qu’en nos jours de merveilleux esprits
Ont épuré cet art par leurs doctes écrits,
Des défauts sont changés en grâces immortelles,
Dont le charme est sensible aux âmes les plus belles.
La scène est une école où l’on n'enseigne plus
Que l’horreur des forfaits et l’amour des vertus :
Elle émeut, à la fois, le stupide et le sage ;
Montrant des passions, elle en montre l’usage.
La comédie, au vif, nous fait représenter
Tout ce que l’on doit suivre ou qu’on doit éviter :
Quand le crime y paraît, il paraît effroyable ;
Quand la vertu s’y montre, elle se montre aimable.
Le coupable y reçoit la peine qu’il lui faut ;
S’il s’élève parfois, c’est pour choir de plus haut.
L’innocent y triomphe et, si le sort l’outrage,
Il l’abat pour, après, l’élever davantage :
Et c’est un art enfin qui sait en même temps,
Instruire la raison et divertir les sens.

LA ROQUE :
A tant de vérités j’ose ajouter encore
Que cet art ennoblit, bien loin qu’il déshonore.
De ce qu’il fut jadis, il est bien différent :
Son but n’est point de plaire au vulgaire ignorant ;
Il ne destine plus ses beautés sans égales
Qu’aux esprits élevés et qu’aux âmes royales.

Est-il honneur plus grand que d’avoir quelquefois
Le bien d’être agréable au plus fameux des rois ;
De mêler quelque joie aux importantes peines,
De la plus vertueuse et plus grande des reines,
Et de donner relâche aux soins laborieux
Du plus brillant esprit qui soit venu des cieux,
D’un ministre animé d’une âme peu commune,
Et grand par sa vertu plus que par sa fortune ?

Comédie en ligne sur Gallica pp. 12-14


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