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1662

(Nicolas Drouin dit) Dorimond, La Comédie de la comédie ou les Amours de Trapolin

Paris, Ribou, 1662

Entretien avec une comédienne

Dans le premier acte de cette comédie de comédiens, on assiste à l’arrivée des spectateurs devant le théâtre. Deux galants ridicules font la cour à une comédienne:

Acte I, scène 4 :
[compliments sur son jeu d’actrice]

L’ESPINAY :
Vous faites, par ma foi, fort bien la comédie :
Quand vous parlez d’amour, que vous êtes jolie !

LE GALLAND :
Qu’elle fait bien la fière, et la cruelle aussi !

LA COMEDIENNE :
Aussi mon métier est mon unique souci
Et de lui seul je suis ardemment amoureuse.

LE GALLAND :
Voulez-vous sans cesser faire la dédaigneuse ?

LA COMEDIENNE :
Je m’en vais au théâtre avec des sentiments
Qui sont trop relevés pour tous vos compliments.
Je sens que la fierté s’empare de mon âme :
Ce n’est que pour des rois que mon cœur est de flamme.

L’ESPINAY :
Vous allez bien jouer étant de cette humeur !
Votre rôle est il plein d’amour ou de rigueur ?

[Sur Cinna et Thomas Morus ]

LE GALLAND :
Je vis hier jouer une pièce nouvelle,
Au Théâtre français, dont la prose est fort belle :
C’est le pompeux Cinna, les traits en sont nouveaux.

L’ESPINAY :
J’aime Thomas Morus, les vers en sont fort beaux.

LA COMEDIENNE :
Plutôt que de parler, tenez la bouche close :
Cinna, c’est fait en vers, Thomas Morus en prose !
Voyez quelle ignorance et quels discours divers :
Il met les vers en prose et lui la prose en vers !
Vos discours à l’instant font de grandes merveilles
Et vous parlez des vers comme font des corneilles.

LE GALAND :
On me vient de donner un sonnet merveilleux.

L’ESPINAY :
Combien de vers a-t-il ?

LE GALLAND :
Au moins trente.

LA COMEDIENNE :
Encore mieux ! De grâce, informez-vous des règles poétiques :
Les épiques pour vous seraient les dramatiques.
Ah ! lisez les auteurs qui composent des vers,
Si vous voulez parlez de leurs travaux divers.
Vraiment pour écouter de semblables merveilles
Il faut que nous ayons d’admirables oreilles !
Une comédienne a beaucoup à souffrir :
Il lui faut tout entendre, il lui faut tout ouïr ;
Souvent un franc benêt lui vient conter sornette,
Et fera, lui parlant, le mignon de couchette ;
Mais ce qui me console en un si grand dépit
Est que j’entends parler aussi les gens d’esprit
Et que j’ai le bonheur de hanter la noblesse
Et d’en avoir souvent une honnête caresse,
De m’instruire avec eux d’une bonne action
Et d’être le témoin de leur profusion. […]

[Des bons et des mauvais spectateurs]

J’aime les bons esprits qui prennent de la peine
Afin de profiter des leçons de la scène ;
J’aime les esprits forts qui sont originaux,
Non les imitateurs de ces mondains nouveaux
Qui souvent, en voyant jouer la comédie,
De critiques censeurs n’étant que la copie,
Veulent gloser de tout, reprendre les acteurs
En jugeant comme fait l’aveugle des couleurs.
Mais que leur jugement soit léger il n’importe,
Pourvu que leur argent soit de poids à la porte.
Nous aimons toutes les fois les doctes spectateurs,
Car leur sage audience anime les acteurs.
Je vais avec plaisir jouer en cette ville,
Pleine d’honnêtes gens et tout à fait civile.
On dit aussi qu’amour triomphe dans les yeux
Des beautés que l’on voit en ces aimables lieux,
Que les dames y sont agréables et belles
Et qu’elles sont aussi toutes spirituelles.
Allons les divertir par nos accents mignards,
Et recevoir l’honneur d’attirer leurs regards.


Comédie en ligne sur Gallica p. 8-11


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