Par support > Oeuvres diverses > Poésies de Madame Deshoulières

 

ca. 1680

Antoinette Deshoulières, Poésies de Madame Deshoulières

Paris, Vve de S. Mabre-Cramoisy, 1688

Du danger de juger et de pratiquer le théâtre et la poésie

Au sein d’une épître à une jeune femme anonyme, Madame Deshoulières mentionne les dangers qu’encourent les beaux esprits à la cour :

Épître chagrine
À Madamoiselle ****

Quel espoir vous séduit ? quelle gloire vous tente ?
Quel caprice ! à quoi pensez-vous ?
Vous voulez devenir savante !
Hélas ! du bel esprit savez-vous les dégoûts ?
Ce nom jadis si beau, si révéré de tous,
N’a plus rien, aimable Amarante,
Ni d’honorable ni de doux.
[…]
Irez-vous voir jouer une pièce nouvelle ?
Il faudra pour l’auteur être pleine d’égards.
Il expliquera tout, mines, gestes, regards.
Et, si sa pièce n’est point belle,
Il vous imputera tout ce qu’on dira d’elle.
Et de sa colère immortelle
Il vous faudra courir tous les hasards.

Mais, me répondrez-vous, sortez d’inquiétude,
Ne prenez point pour moi d’inutiles frayeurs.
Je me déroberai sans peine à ces malheurs
En évitant la folle multitude.

Il est vrai, mais comment pourrez-vous éviter
Les chagrins qu’à la cour le bel esprit attire ?
Vous ne voulez point la quitter.
Cependant l’air qu’on y respire
Est mortel pour les gens qui se mêlent d’écrire.

À rêver dans un coin on se trouve réduit.
Ce n’est point un conte pour rire.
Dès que la renommée aura semé le bruit
Que vous savez toucher la lyre,
Hommes, femmes, tout vous craindra,
Hommes, femmes, tout vous fuira,
Parce qu’ils ne sauront en mille ans que vous dire.

Ils ont là-dessus des travers
Qui ne peuvent souffrir d’excuses.
Ils pensent, quand on commerce avec les muses,
Qu’on ne sait faire que des vers.

[…]

On dirait, à les voir, de l’air présomptueux
Dont ils s’empressent pour entendre
Des vers qu’on ne lit point pour eux,
Qu’à décider de tout ils ont droit de prétendre.
Sur ce dehors trompeur on ne doit point compter.
Bien souvent sans les écouter,
Plus souvent sans y rien comprendre,
On les voit les blâmer, on les voit les défendre.
Quelques faux brillants bien placés,
Toute la pièce est admirable.
Un mot leur déplait, c’est assez,
Toute la pièce est détestable.
Dans la débauche et dans le jeu nourris,
On les voit avec même audace

Edition de 1688, p. 44.
Édition de 1803 (chez Antoine-Augustin Renouard) disponible sur Gallica, p. 116-119.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »