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1664

Jean de La Forge, La Joueuse dupée ou l'Intrigue des académies

Paris, Sommaville, 1664

Sur la moralité du théâtre

Pour obtenir la main de Cléonice, Clidamant déguise son valet en marquis afin de tromper sa mère, la joueuse Uranie. Pour continuer à jouer, celle-ci utilise la prétendue immoralité du théâtre pour justifier son désir de ne pas aller à la comédie.

Scène V :

POLIXÈNE
Allons donc, mon carrosse est ici.

URANIE
Où, Madame ?

POLIXÈNE
À l'Hôtel, chercher la comédie.
Comment ! À ce seul nom vous semblez refroidie ?
Est-ce au Palais-Royal que vous voulez aller ?

URANIE
Point du tout, c'est du jeu que j'entendais parler.

POLIXÈNE
Du jeu, ma chère ? Hélas ! Quel abus est le vôtre !
Quoi, vous préféreriez ce passe-temps à l'autre !

URANIE
Sans doute, et je n'en fais nulle difficulté.
J'y trouve plus de gloire et plus de sûreté.
Toutes filles d'esprit, dont l'honneur est le maître,
Dans ces lieux de plaisir ne doivent point paraître,
Et quand elles y vont, j'en rabats la moitié,
Du moins.

POLIXÈNE
Ah ! Sans mentir, vous me faites pitié !
Avec quels ignorants passez-vous votre vie,
Qui s'osent gendarmer contre la comédie,
Qui masquent ses beautés d'un voile si trompeur,
Et qui d'un jeu d'esprit vous font un point d'honneur ?
Ces lieux contre lesquels votre vertu tempête
N'entretiennent nos coeurs que d'un plaisir honnête.
Ignorez-vous encor que, sans aucuns soupçons,
La femme la plus sage y trouve des leçons ;
Que si l'on ne se tient comme une vraie idole,
On ne peut s'empêcher d'y courir à l'école,
Et qu'il est sûr enfin que, dans ce dessein-là,
On en revient toujours plus contrit qu'on n'y va.

URANIE
Je n'irai pourtant pas, m'offrît-on des empires.
On dit que le théâtre est rempli de satyres.
Je les connais trop bien, et j'ai lu quelquefois
Que ces vilains forçaient les filles dans les bois.
De tous les animaux ces bouquins sont les pires.

POLIXÈNE
Que vous êtes plaisante avecque vos satyres,
Et que vous tournez bien les choses à l'envers.
Apprenez que ce sont des satires en vers,
Des écrits instructifs, où selon la matière,
Un chacun est drapé d'une aimable manière ;
Et, loin que notre sexe en doive être surpris,
C'est l'occupation de tous les beaux esprits.
À la cour maintenant on ne voit autre chose.
Chaque seigneur en est la matière ou la cause,
Et la mode est venue, au lieu de se louer,
Qu'il faut jouer un autre, ou se faire jouer.

URANIE
Pensez-vous me gagner avecque votre mode ?

POLIXÈNE
Mais quand on la méprise, on devient incommode,
Et de plus, quel plaisir, pour un malheureux jeu,
De ne sortir jamais des coins de notre feu ?
C'est à la comédie où l'on voit le beau monde :
Attiré par les vers d'une Muse féconde
Les savants de leur art y rencontrent les lois,
Et les princes enfin y vont ouïr les rois.

LE MARQUIS
Attaquez notre jeu par de meilleures causes.
Un esprit en jouant s'instruit de toutes choses ;
Aussi bien qu'au théâtre on y trouve des lois,
Et l'on y fait agir des dames et des rois.

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