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1665

Raymond Poisson, L'Après-souper des auberges

Paris, G. Quinet, 1665

La critique d'Othon par un Marquis ridicule

Dans cette petite comédie qui parodie une société mondaine, le galant Timante se moque du vaniteux Marquis qui veut faire la critique d'Othon de Corneille et ne cesse de se ridiculiser.

TIMANTE.
Moi, je prends grand plaisir à voir la comédie ,
Et je m’y suis encor fort diverti ce soir.

LE MARQUIS.
Et moi, je fais serment de ne jamais la voir.
Je vis jouer L’Automne hier chez une duchesse.

TIMANT, bas, se moquant,
L’Automne ! C’est l’Othon !

LE MARQUIS.
Ha ! La méchante pièce .

TIMANTE.
Peut-on se divertir plus agréablement ?

LE MARQUIS.
Ne trouverai-je point un peu de jugement ?
Et suis-je né, Seigneur, pour ne voir que des bêtes ?

CLIMENE.
Si tout le monde était, Monsieur, comme vous êtes,
L’on ne serait qu’esprit ; que l’on serait heureux !
Car le vôtre, Monsieur, est tout miraculeux.

LE MARQUIS.
Point du tout ; mais enfin, car on a des lumières,
Qui dans certaines gens sont fort particulières,
Et qui le plus souvent à moins qu’être discret,
On se loue, et je vois que c’est avec regret,
Et même…en vérité, c’est être un faux modeste.

LAURETTE.
Comprenez ce qu’il dit, et devinez le reste.

TIMANTE.
Mais, dites-moi, l’Othon est-il pas sérieux ?

LE MARQUIS.
J’en trouve le sujet bizarre et vicieux.

TIMANTE.
Qu’est-ce que le sujet ?

LE MARQUIS.
Hé, ce n’est pas grand chose.
C’est un sujet tiré de la Métamorphose,
Mais assez embrouillé. Car c’est un empereur…
L’Automne voudrait bien…non, c’est un successeur
Qui prétend, car il voit l’empereur dans un âge…
Sa nièce est bien vêtue et pourtant elle enrage,
Elle aime fort l’Automne ; et Vinus ne craint rien,
Car sa fille…Ma foi, celle-là fait fort bien.
Deux autres conseillers, que l’on nomme…il n’importe ;
Quoi qu’il en soit, tous deux font ligue forte,
Mais qui ne sert de rien. L’armée est près de là,
Et Galba voudrait bien que la nièce qu’il a
Epousât cettui-ci. Mais l’Automne aime l’autre,
Et pour s’en dégager il fait le bon apôtre.

CLIMENE.
Il est miraculeux.

LE MARQUIS.
L’autre est embarrassé,
Car...

TIMANTE.
Tu l’es bien aussi.

LE MARQUIS.
De peur d’être forcé…
Enfin l’un de ces deux de qui le nom m’échappe,
Tue avec un poignard l’empereur, et s’en frappe.
Je crois, sans le compter, qu’il en poignarde deux,
Car il fait le troisième, il se tue après eux.
Enfin l’Automne règne avecque la princesse.
Voilà grossièrement le sujet de la pièce.

LA VICOMTESSE.
Zamais suzet ne fut tonté plus nettement.

LE MARQUIS.
Hé ! Madame, il ne faut qu’un peu de jugement ;
Car sans doute jamais, pour parler d’une chose…
On voit bien que les vers, mais il faut que la prose…
Car le sujet enfin consiste…

LAURETTE.
Justement.

TIMANTE.
Mais l’Automne a passé pour belle.

LE MARQUIS.
Nullement.

TIMANTE.
C’est de l’histoire et non de la Métamorophose.

LE MARQUIS.
Mais l’histoire, ou la fable, est une même chose.

TIMANTE.
Ces pièces-là pourtant sont de ces grands tableaux
Qu’on admire toujours, et qui sont toujours beaux.

LE MARQUIS.
Vous parlez de tableaux ! Après cette manière
Qu’on a trouvée ici de peindre par derrière,
Voyez-vous, cela part de là ; je sois damné !
L’on n’a jamais rien vu de mieux imaginé ;
De ces tableaux tout blancs, rien n’est plus admirable...
Des couleurs...ce secret est presque inimitable.
Mais l’inventeur le montre ; on ne voit aujourd'hui
Nulle dame à la cour qui n’ait appris de lui.
Et la plus maladroite encore en ce rencontre
Peint d'abord aussi bien que celui qui lui montre.

TIMNTE.
Il faut donc que cet homme ait d’étranges ressorts.

LE MARQUIS.
Il faut, il faut, morbleu, qu’il ait le diable au corps.
Cela passe…

CLIMENE.
En effet

LE MARQUIS.
Ah ! c’est une merveille.
Les grands peintres en ont diablement sur l’oreille.

Comédie en ligne sur Gallica, pp. 141-144.


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