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1660

J. B. P. Molière, Les Précieuses ridicules

Paris, G. de Luyne, 1660

Leçon parodique de Mascarille

Le ridicule Marquis de Mascarille propose aux deux précieuses fraîchement arrivées de province de les mener à la comédie ;il leur enseigne les usages de réception et ce qu'il est de bon ton de dire en matière de théâtre.

MASCARILLE.
Je m’offre à vous mener l’un de ces jours à la comédie, si vous voulez, aussi bien on en doit jouer une nouvelle, que je serai bien aise, que nous voyions ensemble.

MAGDELON.
Cela n’est pas de refus.

MASCARILLE.
Mais je vous demande d’applaudir, comme il faut, quand nous serons là. Car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l’auteur m’en est venu prier encore ce matin. C’est la coutume ici, qu’à nous autres gens de condition, l**es auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation**, et je vous laisse à penser, si quand nous disons quelque chose le parterre ose nous contredire. Pour moi, j’y suis fort exact ; et quand j’ai promis à quelque poète, je crie toujours : "Voilà qui est beau", devant que les chandelles soient allumées.

MAGDELON.
Ne m’en parlez point, c’est un admirable lieu que Paris ; il s’y passe cent choses tous les jours, qu’on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu’on puisse être.

CATHOS.
C’est assez, puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu’on dira.

MASCARILLE.
Je ne sais si je me trompe ; mais vous avez toute la mine d’avoir fait quelque comédie.

MAGDELON.
Eh, il pourrait être quelque chose de ce que vous dites.

MASCARILLE.
Ah, ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j’en ai composé une que je veux faire représenter.

CATHOS.
Hé, à quels comédiens la donnerez-vous ?

MASCARILLE.
Belle demande ! Aux grands comédiens ;il n’y a qu’eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants, qui récitent comme l’on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s’arrêter au bel endroit ; et le moyen de connaître où est le beau vers, si le comédien ne s’y arrête et ne vous avertit par là, qu’il faut faire le brouhaha ?

CATHOS.- En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d’un ouvrage, et les choses ne valent que ce qu’on les fait valoir.

Ed. Pléiade, 2010, tome I, p.20-21 
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