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1669

Edme Boursault, Lettres de respect, d'obligation et d'amour de Monsieur Boursault

Paris, Guignard, 1669.

Métaphore théâtrale galante et jugement de la maîtresse

L'édition de 1669 des lettres de Boursault est un dispositif complexe visant plusieurs objectifs différents. Parmi les lettres, une correspondance amoureuse avec une certaine Babet, dont la lettre suivante présente l'amant qui rechigne à faire une lecture publique d'une de ses pièces, à quoi Babet lui oppose leur amour et son jugement comme une « communauté de gloire » suffisante.

À BABET

Et je t’en prie, Babet, ne m’oblige point d’aller demain lire ma pièce chez ton frère, il y a quantité de choses que je serais bien aise de corriger avant que de la mettre au jour. […] Et quand nous ne serons que nous deux, disons-nous des choses si touchantes et faisons des scènes si passionnées qu’il n’y ait qu’à les coudre à mon ouvrage pour ne plus avoir lieu de douter de son succès. […] Je t’ai cent fois dit que ce qu’il y a de contraint dans une comédie fatigue ordinairement et ne divertit jamais, qu’une action pour être belle devait avoir beaucoup de vraisemblance et qu’un auditeur n’a pas la moitié du plaisir qu’il espérait, quand on représente des vérités qui ne devraient pas être véritables.

Cela étant, Babet, je dois éviter la route que je vois prendre à tous ceux de qui les pièces tombent, et ne mettre dans la mienne que ce que je souhaite qui nous arrive, afin qu’il n’y ait rien qui ne puisse arriver à tout le monde. Quand je te donnai la peine de l’entendre et que je l’exposai à la délicatesse de ton jugement, tu y trouvas quelque chose de si tendre que tu m’as avoué toi-même que tu en avais été touchée […] Je te le dépeindrai [notre amour] si violent, quoiqu’il ne fasse que de naître, qu’il n’y aura que sa grandeur qui soit contre les règles de la vraisemblance et, pour peu que tu me fasses la grâce d’y répondre, je ferai des choses si aisées à s’insinuer dans l’âme que, si jamais elles sont représentées, on verra bien que j’aurais travaillé d’après nature.

RÉPONSE DE BABET

Si demain tu ne dégages ma parole, tu es un homme perdu. Mon frère, que tu n’osas chasser quand tu me lus dernièrement ta pièce, en a fait un récit si avantageux que les plus honnêtes gens du royaume ont envie d’être de tes amis. On doutait que tu voulusses prendre la peine de la venir lire à des gens que tu ne connais pas et moi je n’ai point fait de doute que tu ne vinsses d’abord que je te manderai et qu’un amant si respectueux que toi n’obéît au commandement d’une aussi bonne maîtresse que je le suis. Je voudrais bien savoir au reste, Monsieur le mal avisé, pour qui vous me prenez ? Faites-vous si peu de cas de mon jugement qu’après vous avoir fait la grâce de vous dire que je trouvais votre pièce belle, vous appréhendiez de la montrer à d’autres ? Et vous imaginez-vous, parce que je ne puis faire de vers, que je n’aie pas assez d’esprit pour connaître comme il faut qu’ils soient pour être beaux ? Ne sais-tu pas bien qu’étant ta maîtresse et toi mon amant, nous faisons déjà communauté de gloire ? Et que le peu d’honneur que tu as ne court aucun risque tant qu’il sera dans une main si fidèle que la mienne ?

Lettres de respect, d'obligation et d'amour, Paris : Guignard, 1669, p. 192.


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