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1668

Gabriel Guéret, Le Parnasse réformé

Paris, T. Jolly, 1668.

Le jeu tragique selon Montfleury

Le narrateur conte à Nicandre le songe merveilleux qu'il a fait : les auteurs, anciens et modernes, arrivent au Parnasse pour vanter leurs mérites auprès d'Apollon. Après les remarques de Tristan sur les poètes tragiques du temps, l'acteur Montfleury témoigne, de manière burlesque, de sa vie d'acteur tragique :

Montfleury parut sur la fin de cette remontrance, et s’étant roulé aux pieds de la montagne : « Je crois, dit-il, d’un ton à faire peur à tout le Parnasse, que l’on parle ici de la comédie. ». Et alors ayant découvert Tristan : « Ah, poursuivit-il, en lui adressant la parole, je trouve admirable que vous vous emportiez si fort contre les plaisanteries du théâtre. Vous voudriez, je pense, qu’on ne jouât jamais que Mariane, et qu’il mourût toutes les semaines un Mondory à votre service. Plût à Dieu qu’on n’eût jamais fait de tragédies, je serais encore en état de paraître sur le théâtre de l’Hôtel, et si je n’avais pas la gloire d’y soutenir de grands rôles, et d’y faire le héros, du moins j’aurais la satisfaction d’y folâtrer agréablement, et d’y épanouir ma rate dans le comique. J’ai usé tous mes poumons dans ces violents mouvements de jalousie, d’amour, et d’ambition. Il a fallu mille fois que j’aie forcé mon tempérament à marquer sur mon visage plus de passions qu’il n’y en a dans Les Caractères de La Chambre. Souvent je me suis vu obligé de lancer des regards terribles, de rouler impétueusement les yeux dans la tête comme un furieux, de donner de l’effroi par mes grimaces, d’imprimer sur mon front le feu de l’indignation et du dépit, d’y faire successivement en même temps la pâleur de la crainte et de la surprise, d’exprimer les transports de la rage et du désespoir, de crier comme un démoniaque, et par conséquent de démonter tous les efforts de mon corps pour le rendre souple à ces différentes impressions. Qui voudra donc savoir de quoi je suis mort, qu’il ne demande point si c’est de la fièvre, de l’hydropisie, ou de la goutte, mais qu’il sache que c’est d’Andromaque. Nous sommes bien fols de nous mettre si avant dans le cœur des passions, qui n’ont été qu’au bout de la plume de Messieurs les poètes ; il vaudrait mieux bouffonner toujours, et crever de rire en divertissant le bourgeois, que crever d’orgueil et de dépit pour satisfaire les beaux esprits. Je voudrais que tous ces composeurs de pièces tragiques, ces inventeurs de passions à tuer les gens, eussent comme Corneille un abbé d’Aubignac sur les bras, ils ne seraient pas si furieux. Mais ce qui me fait le plus de dépit, c’est qu’Andromaque va devenir plus célèbre par la circonstance de ma mort, et que désormais il n’y aura plus de poète qui ne veuille avoir l’honneur de crever un comédien en sa vie.

En ligne sur Google Books, p. 73.


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