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1679

Marie-Catherine d' Aulnoy, Relation du voyage d'Espagne, t. II

Paris, Barbin, 1691.

Discussion sur la comédie espagnole

Dans cette lettre du 29 mars 1679, Madame d'Aulnoy, à qui on représente les progrès de la comédie espagnole, rappelle la mauvaise pièce vue auparavant, au risque de fâcher son interlocuteur.

Il me conduisit d’abord près de la plus grande [étagère] et nous dit qu’elle contenait des trésors d’un prix inestimable et qu’il y avait ramassé toutes les comédies des meilleurs auteurs.
– Autrefois, continua-t-il, les personnes vertueuses ne se pouvaient résoudre d’aller à la comédie, on n’y voyait que des actions opposées à la modestie, on y entendait des discours qui blessaient la liberté ; les acteurs faisaient honte aux gens de bien, on y flattait le vice, on y condamnait la vertu, les combats ensanglantaient la scène, le plus faible était toujours opprimé par le plus fort et l’usage autorisait le crime. Mais depuis que Lope de Vega a travaillé avec succès à réformer le théâtre espagnol, il ne s’y passe plus rien de contraire aux bonnes moeurs et le confident, le valet ou le villageois gardant leur simplicité naturelle, et la rendant agréable par un enjouement naïf, trouvent le secret de guérir nos princes et même nos rois de la maladie de ne point entendre les vérités où leurs défauts peuvent avoir part. C’est lui qui prescrivit des règles à ces élèves et qui leur enseigna de faire des comédies en trois jornadas, qui veut dire « en trois actes ». Nous avons vu depuis briller les Montalvan, Mendoza, Rojas, Alarcon, Velez, Mira de Mescua, Coello, Villaizanes, mais enfin Don Pedro Calderon excella dans le sérieux et dans le comique et il passa tous ceux qui l’avaient précédé.

Je ne pus m’empêcher de lui dire que j’avais vu à Victoria une comédie qui m’avait semblé assez mauvaise et que, s’il m’était permis de dire mon sentiment, je ne voudrais point que l’on mêlât dans des tragédies saintes qui demandent du respect, et qui par rapport au sujet doivent être traitées dignement, des plaisanteries fades et inutiles. Il répliqua qu’il connaissait à ce que je lui disais le génie de mon pays, qu’il n’avait guère vu de Français approuver ce que les Espagnols faisaient. Et comme cette pensée le fit passer à des réflexions chagrinantes, je l’assurai que naturellement nous n’avions point d’antipathie pour aucune nation, que nous nous piquions même de rendre justice à nos ennemis et qu’à l’égard de la comédie, que je n’avais point trouvée à mon gré, ce n’était pas une conséquence pour les autres qui pouvaient être beaucoup meilleures.

Relation disponible sur Gallica, p. 184-187.


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