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1660

Antoine Baudeau de Somaize, Le Procès des précieuses

Paris, E. Loyson, 1660

Anticipation des éventuelles critiques.

Somaize anticipe les possibles critiques du lecteur et oppose aux problèmes poétiques l'argument suivant : tout est permis pour ce genre de pièce, pourvu que l'on fasse rire.

AU LECTEUR

Je te donne ici un procès dont le sujet est si nouveau que, malgré toute l’antiquité de la chicane, on n’en avait point encore vu de semblable au Palais : il s’y est fourré comme en son pays natal et, bien qu’il soit né dans un lieu fort tranquille, il n’a pas laissé de passer dans celui du trouble et de l’embarras. En vain, j’ai cherché par raison de le retenir : la démangeaison d’avoir ton jugement m’a forcé de l’exposer à recevoir de toi un arrêt moins favorable que celui que mes amis ont porté. Je n’en n’appellerai point, et ne croirai pas même que tu me fasses d’injustice en le condamnant. Mais, comme tu peux lui être contraire par plusieurs raisons, il me semble assez juste de te dire ce que la liberté du poème burlesque y a rendu raisonnable, qui est premièrement l’expression, qui, dans ces sortes de comédies, fait une partie du plaisant et reçoit toutes sortes de façons de parler ; le sujet ensuite, qui dépend entièrement de l’imagination et qui n’a besoin, pour être reçu, que du passeport de la vraisemblance. Il serait bien aise ici de faire un long discours pour expliquer ce que c’est que la vraisemblance, mais, pour te le dire en deux mots, c’est tout ce qui, bien qu’extraordinaire par sa nouveauté, tombe néanmoins assez dessous les sens pour persuader à l’esprit que cela peut arriver sans renverser l’ordre établi dans le cours des choses, ce qui dépend souvent bien plus de l’arrangement des actions que des actions mêmes. Peut-être m’excuseras-tu d’y avoir manqué, précipitant en un jour un procès qui, selon la coutume des modernes, dure pour l’ordinaire des six mois. Mais le théâtre peut bien donner cette licence, puisque la raison et l’utilité voudraient bien qu’ils ne fussent pas plus longs, outre que, ceci étant plutôt un arbitrage en forme qu’un jugement réglé, il ne faut pas s’étonner qu’il aille si vite. Aussi n’est-ce pas là de quoi je veux le plus me défendre, et les scènes déliées, qui sont présentement tout à fait condamnées dans les pièces régulières, et que j’ai laissées passer dans cette comédie, me fourniraient une ample matière d’apporter quantité d’excuses, ce que je ne ferai pourtant pas, croyant qu’elles ne sont pas tout à fait condamnables dans une pièce burlesque, qui est proprement un ouvrage où tout est permis, pourvu qu’il fasse rire. Comme je te l’ai donné pour te divertir, je te prie, si tu ne le trouve pas assez plaisant, de te donner quelque jour de patience. J’en exposerai un autre à la censure qui pourra réparer les défauts de celui-ci : ce sera la pompe funèbre d’une précieuse avec toutes les cérémonies de ce fameux convoi. Que ces termes lugubres et funestes ne t’épouvantent point, car je puis t’assurer que cet enterrement n’aura rien de triste que son nom.

Préface en ligne Gallica NP11


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