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1662

Jean Loret, La Muse historique

Paris, Chénault, [1656-1665].

Ample couverture pour la création de Sertorius

La lettre du 4 mars 1662 fait la part belle à la création de Sertorius de Thomas Corneille :

Les bruits des lointaines contrées
N’auront point, aujourd’hui, d’entrées
Dans cet ouvrage ou discours mien,
Car je n’en apprends quasi rien,
Ou du moins rien de remarquable,
Et cela me rend excusable.
Mais je trouve assez à propos
De vous dire, à présent, deux mots
De l’excellente tragédie
D’un rare auteur de Normandie.
Depuis huit jours, les beaux esprits
Ne s’entretiennent dans Paris,
Que de la dernière merveille
Qu’a produite le grand Corneille,
Qui, selon le commun récit,
A plus de beautés que son Cid,
A plus de forces et de grâces
Que Pompée et que Les Horaces,
A plus de charmes que n’en a
Son inimitable Cinna,
Que l’Œdipe, ni Rodogune,
Dont la gloire est si peu commune,
Ni, mêmement, qu’Héraclius ;
Savoir le grand Sertorius,
Qu’au Marais du Temple l’on joue,
Sujet que tout le monde avoue
Être divinement traité,
Nonobstant sa stérilité ;
Et c’est en un semblable ouvrage,
Ce qu’on admire davantage.
On ne voit, en cette action,
Tendresse, amour, ni passion,
Ni d’extraordinaire spectacle,
Et passe, pourtant, pour miracle.
Certes, cet illutre Normand
Qui n’écrit rien que de charmant,
De merveilleux et d’énergique,
Passe, en qualité de tragique,
Les poètes les plus hardis
Du temps présent et de jadis.
Il fait mieux, dit-on, qu’Euripide,
Buveur de l’onde Aganipide,
Mieux que Sénèque le Romain,
Prisé de tout le genre humain,
Et, bref, mieux que défunt Sophocle,
Qui n’a de rime qu’Empédocle,
Mais dont les esprits mieux sensés
Disent encor du bien assez
Depuis deux mille ans que cet homme
Est mort, bien loin, par-delà Rome.
Les comédiens du Marais
Poussés de leur propre intérêt,
Et qui dans des choses pareilles,
Ne font leur métier qu’à merveilles,
S’efforcent à si bien jouer,
Qu’on ne les en peut trop louer
Et, pour ne pas paraître chiches,
On leur voit des habits si riches,
Si brillants de loin et de près,
Et, pour le sujet, faits exprès,
Que chaque spectateur proteste
Qu’on ne peut rien voir de plus leste.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »