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1667

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Muguet, 1667 et Paris, Lesselin, 1667.

Couverture importante pour Attila

Dans sa lettre du 10 mars 1667, Subligny fait l'éloge de la nouvelle pièce de Corneille jouée au Palais-Royal, et donnée, en l'occurrence, pour les épousailles de M. Bontemps. Il est suivi le 13 du même mois par Robinet.

[Subligny]

Je vous ai parlé d’Attila
Qu’on représente chez Molière.
Quand voulez-vous venir voir là
La Grange, Hubert, la Thorillière,
Du Croisy, du Parc et Béjart,
Et la jeune Molière même,
Représenter ce grand poème
Avec toute la force et l’art
Dont on crut jusqu’ici capable
Le seul Hôtel inimitable ?
On a tort de dire en tous lieux
Que ce n’est point leur fait que le jeu sérieux.
Mais venons à l’auteur, l’illustre de Corneille.
C’est toujours lui pour les beaux vers
Et pour la force sans pareille
De ses caractères divers.
La pompe, le beau tour, la science profonde
Accompagnent toujours les sentiments qu’il a,
Et rien ne me déplut, à son grand Attila,
Qu’en ce que j’y vis trop de monde.
On dit que des railleurs qui font les esprits fins
Trouvèrent beaucoup à redire
Qu’un héros y parût croire tant aux devins.
À ces gens-là, mon Prince, il leur faut faire dire
Le dernier incident du roi
Et du fidèle Louvois,
Et peut-être, sur cette histoire,
Ils ne feront point tant difficulté d’y croire.


[Robinet]

Mais parlons un peu d’Attila,
Car ce fut cette pièce-là
Qui servit à ce grand régale,
Dans une magnifique salle
Où, vrai comme je vous le dis,
Il faisait plus clair qu’à midi.

Cette dernière des merveilles
De l’aîné des fameux Corneilles
Est un poème sérieux,
Où cet auteur si glorieux,
Avecque son style énergique,
Des plus propres pour le tragique,
Nous peint, en peignant Attila,
Tout à fait bien ce règne-là,
Et de telle façon s’explique
En matière de politique
Qu’il semble avoir, en bonne foi,
Été grand ministre ou grand roi.
Tel, enfin, est ce rare ouvrage,
Qu’il ne se sent point de son âge
Et que, d’un roi des plus mal nés,
D’un héros qui saigne du nez,
Il a fait, malgré les critiques,
Le plus beau de ses dramatiques.

Mais on peut dire aussi cela,
Qu’après lui le même Attila
Est, par le sieur la Thorillière,
Représenté d’une manière
Qu’il donne l’âme à ce tableau
Qu’en a fait son parlant pinceau.

Toute la compagnie, au reste,
Ses beaux talents y manifeste,
Et chacun, selon son emploi,
Se montre digne d’être au Roi.
Bref, les acteurs et les actrices
De plus d’un sens font les délices
Par leurs attraits et leurs habits,
Qui ne sont pas d’un petit prix,
Et mêmes une confidente
N’y paraît pas la moins charmante, [Mademoiselle Molière.]
Et maint (le cas est évident)
Voudrait en être confident.
Sur cet avis, qui vaut l’affiche,
Voyez demain, si je vous triche,
Aussitôt que vous aurez lu
De ma lettre le résidu.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »