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1668

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chénault, 1668.

Compte-rendus de Laodice

Dans ses lettres du 11 et du 18 février 1668, Robinet fait une critique étendue de la nouvelle pièce de Thomas Corneille, Laodice.

J’ai vu Laodice à l’Hôtel,
Pièce d’un habile mortel,
Savoir du cadet des Corneilles,
De qui les admirables veilles
Ont, vraiment, toujours mérité
Sur la scène le plaudite.
Or, foi d’écrivain véridique,
On voit dans ce grand dramatique,
Selon mon petit sentiment,
Ce que les gens de jugement
Cherchent dedans la tragédie.
On n’y voit point de rapsodie,
Ni de ces faux petits brillants
Dont on éblouit le bon sens ;
On y voit sujet et conduite ;
Tout est bien lié dans la suite ;
Les caractères sont divers,
Et ce qu’on doit nommer beaux vers
Se rencontre dans ce poème,
Digne ainsi d’une gloire extrême.
Pour ce qui touche les acteurs,
Sans que mes vers soient des flatteurs,
Ils font tous, à leur ordinaire,
Ce qu’il faut pour charmer et plaire,
Et Messieurs les gens de Paris
Savent fort bien ce que je dis,
Sans que par serment je l’atteste.
Passons donc promptement au reste.


[18 février] Comme toujours, la comédie,
Quoi que Monsieur le prêcheur die,
Est l’un des divertissements
Que l’on trouve les plus charmants.
Le poème de Laodice,
Qu’il faut, je crois, qu’on applaudisse
Pour tous ses agréments divers,
Si l’on a le goût de travers,
Parut là comme dans son lustre ;
Et, quoiqu’il soit beau jusqu’au bout,
On admira pourtant surtout
La catastrophe non pareille,
Car c’est vraiment une merveille.
Pour les acteurs, ils firent là,
A l’envi le mirabilia ;
Floridor, y faisait Oronte,
Montra qu’aucun ne le surmonte
Dedans les rôles des héros
Et qu’il y mérite un grand los ;
Des Oeillets, cette rare actrice
Qui représente Laodice,
Contraignit chacun d’avouer
Que l’on ne saurait mieux jouer ;
Dennehaut, malgré sa grossesse,
Y fit des mieux une princesse,
Et même avecque les appas
Valant bien qu’on n’en fasse cas ;
La Fleur, qui, d’assez bonne grâce,
Présentement remplit la place
Du rare défunt Montfleury,
Qui fut un acteur si fleuri,
Y parut vraiment un grand homme
Dans son ambassade de Rome ; Bref, de Hauteroche et Brécourt,
Car enfin il faut trancher court,
Faisant les rôles de deux princes,
Qui ne sont pas des rôles minces,
Firent faire ce jugement
Qu’ils les jouaient très justement.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »