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1668

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chénault, 1668.

Création de George Dandin

Le 21 juillet 1668, Robinet relate la création de George Dandin lors du Grand Divertissement royal :

Et, pour en gros ne rien omettre
Dans les limites de ma lettre,
En ce beau rendez-vous des jeux,
Un théâtre auguste et pompeux,
D’une manière singulière,
S’y voyait dressé pour Molière,
Le Mome cher et glorieux
Du bas Olympe de nos dieux.
Lui-même donc, avec sa troupe,
Laquelle avait les ris en croupe,
Fit là le début des ébats
De notre cour pleine d’appâts,
Par un sujet archi-comique,
Auquel rirait le plus stoïque,
Vraiment, malgré bon gré ses dents,
Tant sont plaisants les incidents.
Cette petite comédie
Du crû de son rare génie
(Et je dis tout, disant cela)
Était aussi, par-ci, par-là,
De beaux pas de ballet mêlée,
Qui plurent fort à l'assemblée,
Ainsi que de divins concerts
Et des plus mélodieux airs,
Le tout du sieur Lully-Baptiste,
Dont maint est le singe et copiste.
D’ailleurs, de ces airs bien chantés,
Dont les sens étaient enchantés,
Molière avait fait les paroles,
Qui valaient beaucoup de pistoles,
Car, en un mot, jusqu’en ce jour,
Soit pour Bacchus, soit pour l’amour,
On n’en avait point fait de telles ;
C’est comme dire d’aussi belles.
Et, pour plaisir, plutôt que tard,
Allez voir chez le Sieur Ballard,
Qui de tout cela vend le livre,
Que presque pour rien il délivre,
Si je vous mens ni peu ni prou ;
Et, si vous ne saviez pas où,
C’est à l’enseigne du Parnasse ;
Allez-y donc vite, de grâce.
Mais revenons à nos moutons,
Et, pour achever, ajoutons
Que chacun fit là des merveilles
Qui n’eurent jamais de pareilles,
Et qu’à l’envi, soit les acteurs,
Les baladins et les chanteurs,
Tous en ce jour se surpassèrent
Et bravement se signalèrent.
Mais, entre tous ces grands zélés,
Qui se sont si bien signalés,
Remarquable est La Thorillière, [de la Troupe du Roi.]
Qui, près de tomber dans la bière,
Ayant été, durant le cours,
Tout au plus, d’environ huit jours,
Saigné dix fois pour une fièvre,
Qui dans son sang faisait la mièvre,
Quitta son grabat prestement
Et voulut héroïquement
Du gros Lubin faire le rôle, [Personnage de la comédie qui fut jouée]
Qui sans doute était le plus drôle.
Voilà comment, en bonne foi,
Tout conspire aux plaisirs d’un roi
Qui, sans que trop de lui je dise,
L’empire avec Jupin divise.
Voilà comment aux jours de paix,
Ayant terminé ces hauts faits,
Qui faisaient trembler tout le monde
Dessous sa gloire sans seconde,
Il se délasse avec éclat
Des grands soins qu’il prend pour l’État,
Et qu’il est, tant en paix qu’en guerre,
Le plus grand prince de la terre.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


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