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1667

[Anonyme], Lettre sur la comédie de l'Imposteur

Description d'un jeu de scène comique

Cette lettre anonyme datée du 20 aout 1667 prend la défense du Tartuffe de Molière, en décrivant la représentation à son destinataire fictif. Cet extrait correspond à la scène de séduction au cours de laquelle Tartuffe mène une cour assidue auprès d'Elmire.

Les choses étant dans cet état, et pendant ce dévotieux entretien, notre cagot s'approchant toujours de la dame, même sans y penser, à ce qu'il semble, à mesure qu'elle s'éloigne, enfin il lui prend la main, comme par manière de geste et pour lui faire quelque protestation qui exige d'elle une attention particulière ; et tenant cette main, il la presse si fort entre les siennes qu'elle est contrainte de lui dire : "Que vous me serrez fort !" à quoi il répond soudain, à propos de ce qu'il disait, se recueillant et s'apercevant de son transport : "C'est pas excès de zèle". Un moment après, il s'oublie de nouveau, et promenant sa main sur le genou de la dame, elle lui dit, confuse de cette liberté, ce que fait là sa main ? il répond, aussi surpris que la première fois, qu'il trouve son étoffe moelleuse ; et pour rendre plus vraisemblable cette défaite, par un artifice fort naturel il continue de considérer son ajustement, et s'attaque à son collet, dont le point lui semble admirable ; il y porte la main encore pour le manier et le considérer de plus près ; mais elle le repousse, plus honteuse que lui. Enfin, enflammé par tous ces petits commencements, par la présence d'une femme bien faite, qu'il adore, et qui le traite avec beaucoup de civilité, et par les douceurs attachées à la première découverte d'une passion amoureuse, il lui fait sa déclaration dans les termes ci-dessus examinés : à quoi elle répond que bien qu'un tel aveu ait droit de la surprendre dans un homme aussi dévot que lui... Il l'interrompt à ces mots, en s'écriant avec un transport fort éloquent : "Ah ! pour être dévot, on n'en est pas moins homme !" Et continuant sur ce ton il lui fait voir, d’autre part, les avantages qu’il y a à être aimée d’un homme comme lui ; que le commun des gens du monde, cavaliers et autres, gardent mal un secret amoureux, et n’ont rien de plus pressé, après avoir reçu une faveur, que de s’en aller vanter ; mais que pour ceux de son espèce, "le soin, dit-il, que nous avons de notre renommée est un gage assuré pour la personne aimée, et l’on trouve avec nous, sans risquer son honneur, de l’amour sans scandale, et du plaisir sans peur". De là, après quelques autres discours revenant à son premier sujet, il conclut qu’elle peut bien juger, considérant son air, qu’enfin tout homme est homme, et qu’un homme est de chair. Il s’étend admirablement là-dessus, et lui fait si bien sentir son humanité et sa faiblesse pour elle qu’il ferait presque pitié, s’il n’était interrompu par Damis, qui, sortant d’un cabinet voisin d’où il a tout ouï, et voyant que la dame, sensible à cette pitié, promettait au cagot de ne rien dire, pourvu qu’il la servît dans l’affaire du mariage de Mariane, dit qu’il faut que la chose éclate et qu’elle soit sue dans le monde.

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