Inédit
« la 1er partie n’est pas terminée. Elle le sera demain. Je viendrai avant le diner » -Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Ce long texte inédit de Marcel Mauss constitue ce qui ressemble à une première version de l’Esquisse.
Plusieurs thèmes et exemples que l’on retrouvera séparés dans le texte final sont ici assemblés. Le ton de Mauss est résolument sociologique puisqu’il s’agit d’insister sur l’aspect collectif de la magie : elle est l’objet de pratiques et de croyances collectives.
Le texte est composé de trois chapitres : « réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir et de force », « la notion de pouvoir magique », dans laquelle Mauss dessine son futur chapitre sur le mana, et « explication sociologique de la magie » qui va lui permettre de répondre à la question : pourquoi la magie est un phénomène social ?
Pour Mauss, il ne fait aucun doute que la croyance collective est antécédente à la croyance individuelle en la magie.
Il tente d’expliquer d’où vient la supercherie du sorcier, quelle est son origine, origine toute collective. Mais surtout, il ne faut pas réduire pour Mauss la magie à des idées et des erreurs. Il y a autre chose : un dégagement de force.
Il revient, de manière critique sur les différentes théories utilisées pour parler la magie.
En premier, celle qui consiste à voir la magie comme une fausse science, une application erronée du principe de causalité (Frazer). En second, la théorie démonologique qui repose sur la croyance aux esprits (animisme, Tylor).
Ce texte est une transcription d’un dossier composé de 61 pages manuscrites conservé dans le fonds Hubert du Musée de Saint-Germain-en-Laye. Les ratures et corrections étant très nombreuses, la lecture et la transcription du texte ont été, à de nombreux endroits, très difficiles.
Le saut des pages est symbolisé par //
Les mots illisibles par [ill]
Les tentatives de transcriptions par [mots ?]
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir et de force
Dans la deuxième partie de ce travail nous venons de décrire la magie en analysant tour à tour chacun des éléments qui la compose en en faisant un inventaire suffisant, et nous sommes arrivés à ce résultat que la magie, même en tant que phénomène individuel, est encore quelque chose d’éminemment collectif dans toutes ses parties. Cette remarque va nous permettre de pousser assez loin l’analyse des phénomènes magiques en général pour que nous puissions aller jusqu’à indiquer quelles sont les formes de la magie, les faits les plus explicatifs du système tout entier, en un mot le rattacher à des [formes] sortes d’origine, à des faits qui reçoivent d’eux-mêmes toute leur clarté, et qui sans être expliqués, pour autant, expliquent la magie elle-même.
Nous avons vu comment, à chaque pas, nous nous trouvions en présence de la recette, de la tradition, de la crédulité collective, de l’autorité d’individus que la société doue de qualités spéciales ; à chaque instant nous avons à faire à des croyances non pas individuelles mais sociales, croyances diffuses, [désuètes ?] // populaires si l’on veut, mais croyances collectives, sinon régulières et obligatoires, canoniques et dogmatiques. Le caractère est bien commun à tous les phénomènes de magie, depuis les notions concernant le sorcier jusqu’à celles qui constituent les mythes magiques. Cette homogénéité de tous ces éléments est telle que nous pouvons présumer qu’ils ne sont les uns et les autres que les éléments d’une même croyance, les parties d’un seul tout [1] pratiqué par un individu qui n’est autre que l’intéressé fort peu qualifié. Elles sont abstraites les unes des autres et non pas indépendantes.
On passe de l’une à l’autre avec une véritable facilité : l’esprit que possède le sorcier ou qui possède le sorcier se confond souvent avec l’âme du sorcier, avec le sorcier lui-même. La force du rite et la force de l’esprit et celle du magicien le plus souvent ne font qu’une. L’état normal du système magique est même une assez complète confusion [2] des pouvoirs et des rites [ill].
Cette unité vient de ce que tous les moments de la magie sont au fond l’objet d’une [3] croyance [4]. // Car la magie n’est pas simplement affaire de croyance individuelle. Même en tant que fait pratiqué par des individus, elle est l’objet de croyances collectives et nous sommes en mesure de démontrer que la croyance collective est ici antécédente à la croyance individuelle, à celle du magicien, au pouvoir de ses esprits, à l’efficacité de ses rites.
En premier lieu il y a des cas où la croyance à la magie est devenue obligatoire – cas chrétien – intégration du dogme nécessite formation d’un dogme sur les faits magiques, lequel dogme est aussi obligatoire que le dogme contraire. Mais ce cas est pour ainsi dire anormal dans l’histoire de la magie, et même la dogmatique [5] ou la dogmatique bouddhique qui ont dogmatisé sur la question n’ont rien dicté de pareil.
Mais normalement la croyance à la magie [résiste ?] dans la société, répandue plus ou moins chez tous ses membres, et fait précisément l’existence de la magie. Elle est réelle, unique et vive, et c’est sous cette forme collective même qu’elle existe seulement d’une façon nette.
C’est ici en effet que nous rencontrons la question, fort grave [ill], de la supercherie et de la sincérité en matière de magie. Elle trouve sa solution précisément si nous considérons la magie comme œuvre – l’objet des croyances [6] du groupe et non pas comme œuvre et objet de croyances individuelles.
//
G. Gray [7] [ill] - cf Mooney [l’h. médecine]
les pierres de quartz – il est même possible que les illusions magiques complètes aient toujours présenté un instant cette espèce de simulation qui accompagne toujours les états de névrose. Mais cette espèce de simulation est telle que les conséquences d’une hallucination un peu simulée peuvent être parfaitement aussi graves que celle d’une perception vraie, et que des fous peuvent se laisser mourir de faim à la suite d’une idée à l’origine toute volontaire. – En tout cas certainement, du point de vue du sorcier, du magicien, il n’a jamais pu y avoir une expression réelle de la véritable efficacité de ses rites.
De nombreux auteurs nous attestent, de façon digne de foi, que c’est très sincèrement que les magiciens s’imaginent avoir envoûté un homme, avoir exorcisé un esprit. // Il est en effet évident que très tôt, les magiciens sont des êtres bien conscients de leur impuissance, et que bien souvent, sinon toujours, ils ont été plutôt poussés par les besoins de leur clientèle que [par] leur propre enchantement.
[Elle ?] est la mouche malfaisante qui pique le malade, elle est la [ill] [ill], le vampire qui est venu sucer le sang. La magie est la cause nécessaire de certains effets. Elle est comme substance [8] de diverses manifestations, elle est crue, et non pas perçue.
Mais, et c’est ici que nous verrons la preuve de l’hypothèse que nous avons admise, cette flèche que le lanceur (suite manquante)
//
Il ne croit peut-être pas à la magie qu’il a faite, il croit certainement à la magie des autres.
Sa croyance est suivie dans la mesure où elle est celle de tout son groupe, et son groupe, son client, croit en lui aveuglément.
La supercherie [ill] du sorcier n’est pas une simple exploitation de prestidigitateur, c’est l’exploitation d’une croyance [ill] et surtout d’un besoin de croire. Besoin et croyance pour le sorcier partagent toujours à quelques degrés.
L’essentiel en effet est moins, dans tous ces faits, la croyance à tous les éléments // de la magie qu’à la magie en elle-même, en général.
La magie n’est pas simplement un total de rites disparates, c’est surtout le monde des causes, de la maladie et de la guérison, de la mort, et du bonheur, de l’invincibilité et de la déroute. La magie se constate dans ses effets. Elle se vérifie dans ses suites, elle-même [ill], sérieuse, même pour le magicien. La magie est parfaitement crue par l’assistance, elle est crue par le magicien lui-même quand il n’est qu’assistant ou patient, elle est pour cette raison crue par le magicien même, au moins partiellement, quand il est agent, tel l’acteur qui oublie qu’il joue son rôle. Mais on le voit, c’est l’état d’âme collectif concernant la magie qui explique l’état d’âme du magicien.
Ainsi nous en arrivons à [supposer ?] qu’aux phénomènes individuels se superpose un élément collectif essentiel dont cette croyance générale à la magie n’est qu’une simple expression.
Il nous reste à déterminer cet élément.
En tout cas un premier résultat est acquis, la croyance à la magie n’est pas formée d’une série d’illusions d’un magicien hypothétique, qui se seraient propagées, que l’on aurait [héritées ?], que la tradition aurait transmises. Il y a autre // chose dans la magie que des idées et des erreurs. Pour montrer cette autre chose, nous allons analyser successivement les diverses théories que les magiciens – et les historiens de la science comparée des religions ont donné de la magie, les explications sont toutes idéologiques. Ils laissent échapper un résidu dont l’analyse servira précisément à retrouver cet élément collectif de la magie.
Une première [9] théorie, facile celle-là, est la plus courante ; elle consiste en réalité dans une véritable tautologie, et n’a jamais été considérée par ceux qui l’ont donnée comme une explication proprement dite, comme le rattachement de la magie à un phénomène supérieure et plus général. La magie serait une fausse science, une application erronée du principe de causalité. Elle exprime un point de vue tout [subjectif ?], [le nôtre ?], et certes jamais magicien n’a pris la magie comme telle. D’autre part, elle est insuffisante au point de vue philosophique car le principe de causalité, catégorie de l’entendement, ne peut pas être appliqué mal ou bien ; forme nécessaire de la pensée humaine, il est appliqué avant tout, et en tout. La magie est comme tous les moments de la pensée, une application du principe de causalité.
Mais les mêmes auteurs, et bien d’autres, ont essayé de donner d’autres théories de la magie. // Sur certains points, les savants modernes n’ont d’ailleurs fait que renouveler les théories que les magiciens anciens et du Moyen Age avaient données de leurs pratiques. Les théories n’étaient que des traductions abstraites de leur propre notion. Elles contiennent donc une part plus ou moins considérable de vérité que nous avons à déterminer.
On a d’abord cherché à [10] traduire les notions magiques en formules scientifiques. C’est ce qu’on fait les anciens, et les modernes.
Les principes comme ceux du totum ex parte, similia similibus, contraria contrariis auraient été non seulement la base de la magie, mais encore son tout.
En réalité, les théories de Mr Frazer ramenant tous les rites magiques à la loi de sympathie proprement dite (totum ex parte) ou à la loi de sympathie mimétique (similia similibus) revient à cette théorie, nous en ferons donc la critique du même coup, en montrant que théorie moderne et théorie ancienne laissent échapper un élément important des phénomènes magiques.
En premier lieu, il a été impossible, et il est impossible de faire tenir sous ces [ill] l’ensemble des faits magiques.
Les alchimistes, [ill] n’y ont pas réussi.
Des faits considérables comme par exemple tout le pouvoir des incantations y échappent. // (…) ce qui est assez vraisemblable que le nom étant identique à la personne, le mot est identique à la chose et que la magie orale n’est qu’un cas particulier de la sympathie proprement dite [11].
Mais allons plus loin et montrons comment dans les faits même qui apparaissent comme étant de simples rites sympathiques, fonctionne autre chose que les notions sympathiques elles-mêmes.
Soit par exemple un rite d’envoûtement. Prenons en un dans une de ces sociétés élémentaires, soit disant sans mystique, vivant à l’âge magique de l’humanité : les Aruntas.
Le rite de l’envoûtement de la femme échappe en perçant son image où l’on [imagine ?] son âme, cette âme elle-même concentrée dans un caillou magique, [suppose ?] bien d’autres éléments que la sympathie pure.
Sans compter que tout se passe dans un milieu magique fort spécial, avec une image incantée, avec des pierres incantées, avec des aiguilles magiques [déjà], une place déterminée par un mythe, [ill] // donnons encore un autre exemple de rite parfaitement sympathique, tel celui de [ill] en Mélanésie, où [l’individu ?] produit la pluie en brûlant certaines herbes aquatiques : il produit beaucoup de fumée, il produit le soleil en en brûlant certaines autres à longue flamme et suffisamment sèches, négligeons toutes les remarques concernant la qualité du sorcier, la nature spéciale du lieu où se font les rites, la présence d’esprits (tindalolos), dont les herbes sont les incarnations et les prophètes en même temps, les relations de ces éléments entre eux, négligeons les incantations et remarquons simplement, les textes sont formels, que le rite agit bien directement, mais n’agit pas purement et simplement dans l’esprit du magicien et de sa [communauté ?], à la façon d’un fait mécanique. Il agit de toute autre façon : les feuilles déterminées pour la pluie laisseraient échapper une espèce de force, appelée mana, que l’on verrait monter sous la forme de nuée noire ; au ciel cette force susciterait des nuages de même nature qu’elle. Les choses se passeraient ([ill] suscrit au-dessus de ce dernier mot) mutatis mutandis pour le soleil, pour le vent.
Même pour les magiciens qui ont le plus raffiné sur leurs rites, qui les ont le plus rationnalisé, qui ont le plus cru à un transfert à distance qui serait purement mécanique, même pour eux, la sympathie magique n’est qu’une des formes d’[action ?] de // la causalité magique. L’effet à produire n’est pas dans l’esprit du magicien, causé par le rite mais par la formule que le rite crée ou plutôt dirige (car il ne faut pas oublier que cette force ne vient pas tout entière du rite, mais qu’elle est aussi censée venir du magicien, des esprits, et de la nature même des choses).
Ainsi, ni la théorie de la sympathie mimétique, ni la théorie de la sympathie proprement dite ne suffisent à expliquer des rites qui n’ont pourtant pas d’autres forme que d’être des rites sympathiques.
Les similia similibus, les totum ex partes, sont donc insuffisants à expliquer des rites mêmes s’ils sembleraient à première vue fonctionner seuls. Et en somme comme ils se ramènent aux lois de l’association des idées chez les individus, association de contiguïté et association de ressemblance, il semble bien que ces lois en tant que cette contiguïté et cette ressemblance [n’accèdent ?] que dans un esprit d’individus, sont incapables d’expliquer les rites magiques dont elles seraient l’application.
Il semble que notre thèse sera plus difficile à soutenir en ce qui concerne les principes si importants du contraria contrarii. Remarquons par parenthèse que ce principe ne peut recevoir son explication dans une théorie qui réduirait toute magie à de la sympathie. C’est-à-dire à un totum ex partes et à des similia similibus. Mais ce principe a une explication toute trouvée si l’on imagine que les choses contraires, qu’il s’agit de combattre // les unes par les autres, ne sont rien d’inerte, des idées, des substances, mais des « natures » et des « [forces ?] ». Ce qui fait que je peux guérir de la fièvre en me [ill] c’est que, outre les cérémonies, préparations incantations il y a dans [ill], une force, une nature contraire à la force de la fièvre, laquelle succombe et part ; c’est cette force qui agit.
Soit encore des [rites hindous ?] pour faire cesser une pluie trop abondante. La plupart consistent soit à tuer symboliquement les nuages, les faire fuir en exposant une nudité (toutes choses qui ne rentrent pas bien dans la règle contraria contraris).
Mais un rite semble bien rentrer dans ce thème, c’est celui qui consiste à brûler sur une poêle des bois d’Urka Calotropis gigantea (arka = lumière, soleil, éclair en sanscrit). Ainsi, on fait cesser la pluie. Mais c’est en suscitant contre elle une puissance contraire, [celle ?] du soleil.
La même matière peut encore être utilisée autrement et ici c’est un autre [ill], que fait le magicien, il s’agit d’enterrer du bois d’arkor dans un trou autour duquel on a déambulé 3 fois. Là c’est l’éclair que l’on enfouit.
Le [succès ?] des forces est si incertain que la même matière est prise pour un contraire et pour un semblable, suivant qu’on veut l’enterrer ou la faire agir.
Cela signifie que ce qui est essentiel dans // tous ces rites ce ne sont pas le symbolisme, ni les mots (puisque le même hymne employé peut aussi servir à conjurer la fièvre et que seule la première stance a vraiment rapport à notre rite). L’essentiel c’est comme dans la magie sympathique ordinaire un dégagement de force à la disposition du magicien. On le voit, en effet, au fond tout en revient là, et il n’y a pas de rite mimétique qui ne soit à quelque degré contraire à l’état de chose établi qu’il s’agit de modifier, ni de rite antipathique qui ne soit à quelques degrés sympathique puisqu’il s’agit de transmettre une qualité à une chose dont on dispose toujours à quelque degré.
Les formules de la sympathie ne sont que des traductions abstraites de notions très générales qui circulent inévitablement dans la magie, elles ne sont pas autres choses [12] car elles ne lui servent que de cadres assez larges, où elle se joue et non pas de principe, et elles n’ont de raisons que par rapport à la magie [13].
Elles sont les chemins que suit la force magique, elles ne sont pas la force magique elle-même.
La seconde théorie qui a été donnée est la théorie démonologique. C’est-à-dire que l’action des rites magiques, les pouvoirs du magicien, sont expliqués par la croyance aux esprits.
Une grande partie de l’antiquité [a vécu ?] sur une // théorie de ce genre, et les théories modernes comme Mr Tylor semblent n’avoir fait que la renouveler.
En sorte de la même façon que les [ill] de la théorie sympathique avait une vérité réelle dans la [mesure ?] où elle constate le caractère général des rites et notions magiques, leur [ill] relative, leur relative rationalité, de la même façon la théorie démonologique [retrace un ?] caractère important des phénomènes magiques, la notion constante de force spirituelle, constamment en présence, qui est un élément nécessaire de la magie.
Même, on peut dire que l’explication démonologique pourrait être, tout compte fait toujours préférable à l’explication scientifique, car l’action spirituelle à distance est toujours [ill] un caractère de la magie [sympathique ?].
En fait, on arrive toujours à faire dire à un individu quelconque, qu’au moment où il agit ou pas son charme, il a au moins quelques rapports avec des esprits.
Seulement, cette théorie que nous préférons, car elle montre même le caractère [14] des notions magiques, laisse elle aussi échapper des résidus importants de notion qui justement sont les plus fondamentaux et doivent être déterminés avant tout. Ce sont les notions vagues, qui sont précisément, d’ordinaire les seules à [ill] pouvoir observer des noms ; puissance du regard (le coup d’œil. v - contre œil. - V. Kane - regarder la nourriture, - regarder l’ennemi, [ill] de telle et telle façon) - puissance des gestes, // puissances normalement obscures et générales des choses que le magicien ne cherche qu’à transmettre et non à substantifier par un esprit. L’esprit n’est [trouvé ?] qu’en dernière analyse comme légitimant en somme le pouvoir du magicien [professionnel ?]. Quand c’est lui qui opère, il ne paraît pas nécessairement [ill].
Comme il n’existe pas d’autre recueil vraiment exhaustif à notre connaissance que celui de l’Atharva Veda, Hindou, nous avons fait ce travail et nous sommes arrivés à cette conclusion que 1/ 3 au moins des hymnes ne comptait aucune invocation à aucun esprit personnel. Une chose encore plus remarquable, il faut constater que très souvent l’esprit invoqué n’est pas nécessairement l’esprit actif mais bien l’esprit passif, de la chose qu’il s’agit précisément [d’exorciser ?], de [ill]. Toutes les nombreuses formules qui rentrent dans le type que nous avons appelés rites d’origines ne mentionnent justement pas [15] l’esprit actif mais l’esprit passif que l’indication de son nom, de son histoire, des pouvoirs que le magicien a sur lui, met précisément en fuite. L’esprit ici, n’est nullement l’élément véritablement nécessaire du rite, il en est simplement l’objet.
Nous arrivons donc à déterminer assez aisément, // même il n’est pas téméraire de penser, que pour une bonne part, tout ce que nos notions de forces, et de causes [ill] ont encore pour nous de [non- ?] positif, de mystérieux vient de la parenté avec de vieilles habitudes magiques dont l’esprit humain à difficile à se défaire.
Quelle est donc cette notion de force magique et comment pouvons-nous la // décrire [16] ?
Nous allons donc procéder à l’analyse de cette notion en donnant d’abord quelques faits typiques, autour desquels nous grouperons [successivement ?] un certain nombre d’indications permettant de prouver qu’elle a subsisté dans les rituels que nous nous sommes assignés d’étudier [17]. //
La notion de pouvoir magique.
Le groupe [classique ?] où cette notion est le mieux observable est le groupe mélanésien. Nous avons ici les incomparables documents de Codrington, et la découverte de la notion du « mana » ou de pouvoir magique (plus exactement magico-religieux) peut être comptée parmi les plus importantes de la sociologie descriptive et de la sociologie religieuse.
La notion de mana est une notion vague, complexe, naturellement obscure. // La notion de mana est une notion complexe et difficilement accessible à nos cerveaux trop habitués à un minimum d’abstraction et par le fait de nos langues, à un minimum d’analyse ; et au moins pour ce qui est des faits mélanésiens, ils nous sera permis de nous servir de ce mot sans autre définition. D’ailleurs, répandu dans toutes les langues mélanésiennes proprement dites (les langues papous formant probablement une famille un peu à part) et même dans toutes les langues polynésiennes. Il ne faut pas oublier en effet que nous aurons à parler dans les pages qui vont suivre de notions exprimées dans des langues qui, sur un point au moins, en sont à un stade inférieur à celui des langues sémitiques ou indo-européennes, et où les substantifs et les formes verbales sont moins distinctes qu’ils ne le sont dans les états les plus primitifs de ces langues. // (…) En somme partout où nous trouvons des expressions suffisantes de ce que toutes les sociétés ont vaguement senti, et qui en tout cas a formé le principe inconscient de leurs actes magiques, nous arrivons à leur notion de pouvoir magique, d’efficacité pure, mystique et matérielle, et localisable, cependant spirituelle, ou ce qui agit à distance est pourtant d’une façon considéré comme directe. Le monde que le magicien connaît, que les rites meuvent, que les esprits animent est un monde fermé, interne et pourtant superposé à l’autre. Ce monde est celui des qualités et de forces connues comme transmissibles, comme contagieuses. C’est un monde séparé [ill] d’ordinaire avec respect mais c’est aussi un monde dont l’approche est extraordinairement utile, car c’est en lui que réside tout efficace. C’est le monde des rites et celui des esprits.
Car il ne s’agit pas ici simplement des rites et des esprits magiques, il s’agit aussi des dieux et du culte.
La notion de pouvoir magique est une notion commune à la magie et à la religion. Tout ce qui est superposé, spécial, rituel, tout ce qui [ill] les gestes traditionnels des sociétés agit sans agir d’une façon mécanique, par des gestes, par des mots par des actions à distance, tout cela forme un seul monde du magique et du religieux. Mr Hewitt et Mr Codrington qui ont observé ces notions sur place en plein fonctionnement l’ont abondamment prouvé. // Nous avons encore à prouver qu’une notion de ce genre a fonctionné [obscurément ?] dans les rituels indo-européens dont nous nous sommes assignés l’étude, mais dont le degré d’avancement extrême interdit la persistance de notion trop élémentaires.
Dans l’Inde, nous en retrouvons encore des espèces de fragments. Un certain nombre de rites ont pour but de mettre en mouvement simplement des qualités vagues, l’éclat, varcas, le tejas, la force dont la possession fait la vie, le bonheur, la richesse et la victoire ; ou des puissance plus ou moins personnalisées : Nirrti la destruction (devenue une déesse), laksmi le sort (devenue aussi une déesse plus tard), d’autres opposent puissances à puissances. Cf. le rituel médical est entièrement un culte soit de la force du sorcier contre la force de la maladie, soit du [ill] (qualité de remède, remède) contre la maladie, la fièvre. Les plantes n’agissent [qu’en vertu ?] de cette même qualité.
Mais il y a plusieurs notions que nous ne saisissons que dans un état d’extraordinaire développement mais qui n’en semblent pas moins tenir par des racines étrangement profondes à notre notion de pouvoir magico-religieux. Au premier rang on doit compter la notion capitale de brahman. Même dans les textes védiques [ill] le nom de brahman (neutre : prière, mantra, pouvoir religieux ou magique du rite) est bien indistinct du prêtre magicien Brahman (masculin), dont, probablement une simple différence d’accord sépare de la chose du nom du magicien. Le brahman est ce par quoi les dieux et les hommes agissent, c’est la voix, c’est la substance interne des choses.// Cette notion védique, mais plus spécialement atharvanique est à tel point une notion riche que c’est autour d’elle que s’est progressivement formé le panthéon hindou. Brahman est le réel, tout le reste n’est qu’illusion, quiconque se transporte au sein du brahman (par la mystique, yoga [ill]) obtient tous les pouvoirs magiques, il crée à volonté le monde. Le brahman est le principe actif, distinct et immanent par rapport au tout du monde. Il est par certain coté la chose dont sont faites [les rites, les prières et] les choses. Ce que le brahman possède par naissance, et par son éducation, le principe total, [ill] du monde, du veda et des autres [ill]
En Inde, le côté mystique de la notion a seul [ill], il semble qu’en Grèce le côté scientifique, au contraire, ait seul été conservé. (suite illisible) //
Explicat. socio. de la magie. II
Nous venons de montrer comment tous les éléments de la magie se réduisaient en dernière analyse à une notion de force et de mode d’action spéciale. En réalité tout se passe dans une véritable sphère superposée à la réalité, et qui pourtant est crue aussi [inhérente ?] que pour nous, de nos jours, le postulatum d’Euclide est inhérent à notre conception de l’espace. Il nous reste à montrer que ces notions sont elles-mêmes d’origine collective et comment elles le sont.
Une pareille démonstration aura deux sortes d’intérêt.
Elle achèvera définitivement de prouver ce que nous avons déjà bien des fois signalé au cours de ce travail, à savoir la nature essentiellement collective de la magie, dans son essence cette fois et non plus dans ces divers éléments. Enfin, elle nous permettra de voir quelle espèce de phénomène collectif est la magie, quelle est sa fonction dans l’ensemble des phénomènes sociaux. La magie n’est possible que comme phénomène social. Elle est nécessaire qu’à ce titre, on en peut donner une satisfaisante explication
Un premier point peut être acquis d’une façon toute dialectique, toute critique, si l’on veut. Mais // cette façon de procéder montrera même que tout autre le rôle considérable que joue dans la création et dans l’élaboration des notions magiques, du système magique, l’action même de la société [18].
La notion de force est toujours présente, et c’est cette notion [qui ?] est la véritable notion magique. Or cette notion [joue ?] en quelque sorte le rôle que joue la copule dans la proposition. C’est elle qui pose l’idée, lui donne son être [19], sa réalité. Et l’on sait qu’elle est considérable.
Mais il y a plus. Puisque nous sommes sur ce terrain dialectique, poursuivons notre comparaison et considérons, pour un instant, comme des jugements tout ce qu’est rite, et notion magiques. Soit un exemple, le magicien crée des corps astraux [20]. Le nuage est produit par cette combustion de végétaux aquatiques, l’esprit est mis en mouvement par le rite et saisit l’âme de l’[ill].
Ces notions se déduisent-elles à la façon de jugement analytiques qui se déduisent les uns des autres ? N’y a-t-il pas là des synthèses constantes ? Quelle que soit la relation logique qui existe entre la fumée ou le jet d’eau du sorcier et le nuage, qui imaginera que jamais // pour le magicien ou pour ses fidèles il y ait eu une relation de parfaite identité et non pas d’identité si fragmentaire qu’elle semble en réalité n’avoir eu d’autre raison d’être que de permettre précisément l’identification de l’objet des [désirs ?] avec un moyen à la portée de la société. Le jugement magique laisse plus ou moins de place à la synthèse [21]. Cette synthèse par qui est-elle opérée ? Peut-elle l’être par l’individu ? A cette première question on peut dire : elle est un principe toujours en fait [opéré] par la coutume. Mais encore [ill] n’y a que des besoins collectifs, ressentis par tout un groupe d’individus qui puissent permettre à tous ces individus, aux mêmes moments, la même synthèse faite des mêmes notions.
La croyance de tous, la foi, est l’effet des besoins de tous, de leur désir unanime et non pas des désirs de la foi d’un seul [22].
Rien ne nécessite dans l’esprit individuel [23], à associer les mots ou les actes ou les instruments de tel ou tel individu, jamais l’expérience ne les associe vraiment. Des associations conçues comme logiquement nécessaires.
Ces synthèses magiques n’en sont pas contradictoires, mais ni le fond, ni la forme de ces associations n’est concevable [ill] hors d’une sorte de quasi convention qui établit, préalablement à toute expérience // que le signe est capable de produire la chose, le tout la partie, le mot le phénomène, que le rite, le manuel, l’objet magique sont assez puissants pour évoquer [ill] la fin.
C’est un consensus social, traduction d’un besoin social qui pousse ainsi à rechercher parmi les associations d’idées possibles, une sorte d’anticipation préalable, à faire le phénomène désiré par tous pour qu’il soit constaté par tous.
Le choix des moyens magiques [24], ne peut être fait que par la société. Cette synthèse de la cause et de l’effet ne peut se produire réellement dans l’entendement individuel, elle se produit dans l’opinion publique.
Jamais le magicien ne voit réellement la flèche d’envoûtement partir réellement et tout le monde, lui-même compris, est persuadé qu’elle arrive. Qu’est-ce à dire sinon que la magie du tout a précédé celles des parties, et qu’elle est en réalité une anticipation [25] faite par la société, dont l’acte individuel du magicien n’est qu’une sorte de répétition.
Mais il nous est possible d’indiquer pourquoi en fait la magie est un phénomène social.
Nous l’avons réduit à une notion de force séparée, de [tiers ?] monde, de chose superposée, [ill], de mana sans vouloir autrement la définir. Maintenant nous pouvons montrer que cette force est bien [telle ?] parce qu’elle est connue non pas par des individus, mais par la société.
En premier lieu, cette notion du mis à part // de superposé, de magique, de non complètement sensible et matériel, ne peut être une notion vraiment individuelle [26]. Cette [rétention ?] vis à vis de choses crues relativement mystérieuses (ét. de [ill] tabou sympa. Tabou du seul, et de mag. néga) n’est pas une chose que l’individu fait seul [27]. Outre que les [rétentions ?] sont d’ordinaire réservées socialement il n’y a en fait qu’elles qui soient capables de les produire, d’interdire la violation par exemple du tabous de propriété [28]. En bien des cas la magie consiste dans une mise de la chose hors du domaine commun [ill] [29].
La flèche incantée – ce n’est pas l’action individuelle, le mouvement des corps, des instruments, les faits sensibles qui sont [censées ?] actifs, causatifs, c’est cette tierce réalité interne et externe à la fois. Les choses se passent à la fois dans le monde du [sur ?] et dans un monde mystérieux [30]. Mais ce n’est que celle-ci que décrit toute connaissance empirique. // La connaissance individuelle ne donne jamais que de l’empirique, et jamais cette espèce de transcendant [31], [ill] à celle que met en mouvement toute la magie. (Topo sur le naturalisme). – ou moyen de décrire : le chaud (gradal), le nahualt, le lourd. La théorie des esprits lourds. Il se fait une addition considérable où en quelque sorte la conscience sociale, avec ses sympathies et ses antipathies, se surajoute à la conscience empirique de l’individu [32].
Mais nous avons encore un moyen de représenter ce qu’a de social la notion de force magique. C’est de faire remarquer combien elle est parente de la notion de force religieuse, dont le caractère social ne peut être mis en question.
Sans vouloir épuiser ici la question [ill] notre sujet n’est pas du tout celui des rapports de la magie et de la religion. Il me sera permis de montrer qu’en principe, les forces qu’emploie la magie ne sont pas génériquement distinctes de celle qu’emploie // la religion – carac. magique aussi bien que religieux de notion de mana - La notion du séparé, commune à la magie et à la religion. La mise hors du domaine profane.
Mais cette mise hors le domaine profane a une raison immédiatement assignable si nous examinons les conditions que nous avons énumérées des rites magiques et si nous analysions un certain coté des notions mises en mouvement dans ces rites.
Les notions magiques constituent une espèce de domaine à part, le circuit est pour ainsi dire fermé. Le magicien [ill] ses mots [33], les esprits ou les influences sans nom que le rite fait agir, les choses suggérées, forment un tout homogène. Il y a en somme création d’un milieu magique.
Le milieu est en tout point comparable au milieu religieux [34] non pas que les choses s’y trouvent données, accentuées, au point où elles sont dans un rite aussi complexe et aussi évolué. Elles s’y retrouvent toujours à quelque degré moindre, de même que le rite sacrificiel comporte toujours une entrée dans le rite, une consécration spéciale donnée aux agents, aux moyens et aux buts du rite, de même le rite magique. // L’absence de mention de consécration, d’ablution spéciale, ne doit pas d’ailleurs faire illusion. La plupart du temps les documents ont simplement péché par omission d’une prescription toute naturelle, et les rites en comportent bien que les rituels n’en font pas une véritable mention. Mais, il est possible d’établir que presque toujours il y a sur un terrain de magie, une série de choses qui sont ou bien une sorte de [ill] par nature ou bien une sorte de [ill] introduite par action.
Il s’agit toujours d’un rassemblement de force que crée le formalisme du rite :
a/ relative publicité du rite magique. Présence souvent nécessaire des sacrifiants. Le conclave magique (Roth) [35]
Le lieu Arunta. L’endroit où hantent les esprits
Le terrain des tindalos, [encerclés ?] de pierre sacrées
La lololoho – le tavunagig. Les rites de sacrifice préalables (Rappel des conditions rituelles)
b/ Le matériel opératoire (Rappel des conditions rituelles)
α. Préparation du matériel – les os des morts.
Les incantations préalables et prolongées – les résidus du sacrifice
Les contacts dans le sac médecine (Australie quartz et churingas) ; les contacts dans l’Amérique du N. étude du sac médecine.
β. Les choses recueillies. Les herbes, [ill] des herbes.
γ. Les puissances rassemblées subsistent sur le terrain. Le départ sans tourner la tête [ill] //
Comparaison avec les rites funéraires. La fille de [Lot ?]
Le lieu magique est un lieu sacrificiel, le rituel magique constitue un milieu – Comparaison avec le milieu [36].
Constitué aussi par l’emploi de forces plus qualifiées – les forces religieuses.
Nous ne trouvons précisément entre l’un et l’autre que des différences de degré [37].
(Dans l’un et l’autre cas il y a transport [Ill] d’un monde spécial, utilisation des forces spéciales de ce monde, acte complet et terminé.
Confection d’un vrai milieu fermé à tous ceux qui n’y sont pas entrés, dangereux au moment de la sortie pour ceux qui y sont.
Le milieu magique dans une certaine mesure ou [est ?] un milieu quasi individuel [38], [infra ?] social, souvent hors la loi. C’est un milieu où les forces agissantes [sont ?] déterminées par la société et où les forces agissantes sont vraiment sociales [39].
C’est-à-dire que sauf en ce qui concerne leur [pure ?] possibilité psychologique, elles sont exclusivement de nature sociale. Nous avons vu combien les notions de // mana, de force d’influence de transport de force supposent non pas simplement un esprit de magicien, un simple individu qui les trouverait dans son expérience mais encore tout un système de notions préétablies, qui ne sont concevables que par l’expérience traditionnelle et l’aveuglement social tout entier.
Il nous reste à montrer combien dans leur nature et dans leur jeu, ces notions elles-mêmes sont à un haut degré de nature exclusivement collectives. Les choses auxquelles elles s’appliquent sont d’abord, par cela même revêtues d’un caractère spécial qui fait qu’elles sont pour ainsi dire, à la façon des choses religieuses, mises hors l’usage commun. Et inversement, c’est à des choses mises hors le domaine commun que sont dues d’ordinaires les forces vivantes de la magie. Un exemple entre tous peut le faire sentir, c’est celui des relations étroites entre les rites et notion de magie noire, de sorcellerie proprement dite, et les cultes funéraires. La plupart du temps, les esprits actifs de la magie sont des esprits des morts. Dans nos sociétés, ce sont surtout ceux des morts de mort violente. - Le lifting of the hand. La main du mort et les voleurs – la corde de pendu – le sang de supplicié. Mais autrefois, c’étaient aussi les esprits des morts quelconques. La sorcellerie // en somme la magie de mort tire ses puissances [Ill] d’une notion de mort, notion collective, qui est précisément celle qui fonctionne dans les rites funéraires, les tabous du cadavre, du deuil, de la veuve, etc. La mort est comme la vie une puissance séparée à laquelle les gens empruntent plus qu’ils ne croient pas [Ill]. Il y a d’autre part un réservoir de vie, et un réservoir de mort et la magie puise dans l’un et dans l’autre. Mais la notion de mort est elle-même une notion collective et la mort un principe distingué, séparé, respectable, respecté, craint. Les morts, cadavres, et esprits forment par rapport au monde des vivants un monde à part où le magicien puise ses pouvoirs de mort. // Un autre exemple peut être emprunté à l’étude de la situation particulière de la femme en matière de magie. Cette situation est tout à fait contraire à celle qu’elle occupe en matière de religion.
Elle a théoriquement une position religieuse presque toujours inférieure à sa position juridique et même à sa position religieuse réelle. Il en est tout autrement en matière de magie, et on peut dire qu’elle y a une position radicalement inverse, supérieure au point de vue juridique à celle qu’elle occupe en réalité. La magie est encore plus réputée œuvre des femmes qu’elle ne l’a probablement jamais été ; des vieilles femmes surtout, d’ordinaire en cas de sorcellerie, vont plus volontiers [Ill]. La femme est l’être doué du mauvais œil, mais elle n’est pas du tout censée s’en tenir à cette mauvaise qualité. (…) // Mais ce qui est beaucoup plus remarquable encore c’est que la position théorique des femmes en matière de magie est infiniment plus forte que les positions réelles [40]. Et l’on se trouve en présence de ce phénomène curieux : l’homme est d’ordinaire le magicien, la femme est régulièrement la coupable de magie.
Il y a là un fait des plus significatifs et même des plus démonstratifs à notre point de vue. La femme est en effet un être naturellement magique parce qu’elle est [Ill] qualitativement différente de l’homme, douée de pouvoirs spécifiques, d’ordinaires, gauches, ou tout au moins spécifiques dont les menstrues ne sont en fait que l’expression maximale. Elle est le siège d’actions mystérieuses, de l’enfantement et du sexe. Elle est l’être naturellement faible et dont les qualités sont dangereuses. Elle est plus souvent que l’homme la proie des crises nerveuses hystériques, interprétées comme des cas de transport magique.
On le voit ce n’est nullement à des qualités simples mais bien à la façon dont la société envisage ses qualités que la femme doit le rôle qu’on lui fait jouer en magie. Le sexe féminin est une force religieuse expulsée du sein de la société religieuse régulière, et c’est pour cette raison qu’elle constitue une force magique de premier ordre, un élément intégrant de ce milieu que nous décrivons [Ill] et qui est tout entier fait de choses déterminées socialement. // Le caractère social du milieu magique peut encore être déterminé d’une autre façon. Chaque fois que nous nous trouvons en présence de renseignements suffisamment développés, il apparaît que le rite magique, la magie, a parmi ses éléments nécessaires tout un ensemble de conditions négatives, tout à fait comparables aux interdictions [41] et ces interdictions sont en fait aussi sociales, aussi extra individuelles que le sont n’importe quels tabous religieux proprement dits.
Ils sont même dans certains cas de véritables tabous publics, et dénotent, à la base de certains rites magiques, de véritables états de groupe. Nous avons donc ici une double preuve : existence de rites négatifs comme conditions du rite magique ; existence de rites publics, tribaux, comme conditions d’actes magiques.
Le rite magique négatif, c’est ce que Mr Frazer a justement appelé le tabou sympathique [42]. Certes, beaucoup de ces tabous de commensalité entre sexes sont évidemment destinés à empêcher ce que d’ordinaire la magie produit, à savoir un transport des qualités (mauvaises ou bonnes). C’est ainsi que les tabous de commensalité entre sexes ont pour but d’éviter les contacts qui transmettraient à l’homme les mauvaises influences de la femme. Dans une certaine // mesure, leur étude pourrait nous intéresser mais nous préférons ne pas tenir compte de cet immense ordre de faits parce que l’on n’est pas encore fixé sur la nature religieuse ou magique de ces tabous, du moins il est impossible de [Ill] tant que l’on ne sera pas fixé sur la façon dont il faut entendre la notion de sacré.
Mais prenons simplement comme sujet d’étude les conditions de certains rites magiques proprement dits. Il nous apparaitra qu’elles ont pour but de former précisément un milieu magique tout aussi déterminé, délimité que peut l’être le milieu d’un rite religieux quelconque, un sacrifice par exemple.
Ne comptons pas parmi ces rites négatifs toutes les conditions de temps et de lieu, toutes les conditions de personnes qualifiées, ne marquons même pas tous les tabous qui peuvent peser sur le magicien comme tel, mais signalons simplement l’existence non rare, presque régulière, lorsque l’on a des textes suffisamment complets, de rites d’entrée et de sortie comparables à ceux des sacrifices. Des interdictions alimentaires pèsent souvent sur les futurs intéressés, ou sur l’opérateur ou sur les deux [Ill] // prescrit – sous peine de nullité du rite ; la nudité en parti [Ill] est un rite fréquent du magicien, et souvent reçoit son interprétation de la nécessité d’une mise en contact directe du corps du magicien avec les éléments sur lesquels il s’agit d’agir ou par lesquels il agit. Des tabous de sortie pèsent également sur le magicien, sur l’intéressé, sur les assistants. Mais des plus fréquents est celui qui consiste à ne pas retourner la tête au moment où l’on quitte le terrain. Les rites de sortie pour la cueillette des herbes cherokees.
Aussi, toute proportion gardée, le monde de la magie n’est pas le monde des dieux. Si l’individu y pénètre plus facilement que dans le cercle des choses religieuses, ce n’en est pas moins un monde fermé et animé, où l’on n’entre pas et d’où l’on ne sort pas d’une façon radicalement autre que celle dont on communique avec les substances divines.
Les rites négatifs aboutissent, avons-nous dit, quelquefois, à de véritables états de groupe. Les états sont d’ailleurs plutôt réalisés dans des actes de véritable magie publique que dans des actes de magie [Ill], ils n’en sont d’ailleurs que plus intéressants, vraiment typiques, d’ailleurs ils peuvent nous mener dans une certaine mesure à l’explication // de la magie elle-même dans la mesure où ils se rattachent à des actes magiques collectifs eux aussi.
Voici les faits.
Dans un certain nombre de société : malayo polynésiens et mélanésiens (papous), la chasse, la pèche, la guerre ne sont pas simplement des faits de technique mais comportent toute une série de représentations et d’actes à caractère religieux ou magique tout à fait assuré. Dans un certain nombre de cas, le caractère religieux des faits est des plus assurés, cela a lieu tout particulièrement pour les cultes agraires proprement dits, suivant le schème ordinaire d’offrandes primitielles, de consécrations des champs, et dont l’aire s’étend de la civilisation malayo polynesienne, depuis Madagascar, jusqu’aux Hawaï en passant par l’Indochine. Mais d’autres faits sont moins clairement religieux et négatifs puisque certains sont clairement magiques. Et à la pêche, à l’expédition de guerre, à la recherche de filons, se superposent tout un ensemble de rites de sympathie négative tout aussi mécaniquement efficaces que de véritables rites de sympathie positive. Les Malais de la péninsule n’ont guère gardé de ces rites que ceux qui concernent la recherche d’aigle, celle du camphre et des filons des mines d’étain : Choses défendues, qui pourrait rendre en fuite l’âme, l’être ombrageux, de la mine, de l’essence précieuse.
Elle est protégée de tabou, à la façon d’une chose sacrée proprement // dite. Pour la recherche du bois d’aigle, il est encore de même chez les chams [Ill]. En particulier règnent ici un ensemble de tabous linguistiques, et l’on est obligé de changer une partie des noms des choses.
Le pawang du sorcier des malais, le paja – ou prêtre sorcier des chams, ne passent plus que le bhasa hantu, observent eux et leur [troupes ?] un certain nombre d’interdictions quelques fois entièrement détaillées ; aussi détaillées et aussi peu fondées que possible sur des notions théologiques, mais bien sur ces raisons de mythologie scientifique vague sur lesquelles nous l’avons vu, travaille la magie. Les notions sont encore plus évidentes lorsque l’on passe à des parties du monde malayo-polynésien qui n’ont pas été vraiment touchées par de trop fort contact avec les grandes civilisations orientales. Les tabous de guerre en particulier sont des mieux conservés à peu près partout dans toute la province géographique proprement Malaise. A Bornéo, les femmes ne doivent pas dormir et doivent danser. Les tabous de pureté à la veille de chasse et de pêches, ou de guerres, sont des plus développés. Dans certains cas, ils ont connu, ils ont eu en Israël un caractère religieux assuré et les individus sont bien taboués parce que consacrés à une divinités ou à une [Ill] de la divinisation et qui exige une vendetta. Mais [Ill] il n’y a pas de pareille idée religieuse à la base de ces faits. // De tels intermédiaires ne se présentent pas et l’idée si elle est religieuse est en même temps magique.
A Madagascar, l’un des tabous les plus forts, les plus réguliers, les plus graves, est celui de la chasteté de la femme pendant l’absence de son mari en guerre. [Ill] un mari à la guerre est régulièrement puni de mort. L’adultère envers un mari absent n’est, chez les [Beksirmsarakas ?] punis que de certaines sanctions corporelles et suivants l’adultère simple n’est puni que par le mari. D’où vient cette aggravation, cette graduation s’il n’y a pas là croyance à une solidarité magique entre le mari qui fait cet acte de magie et [Ill] la guerre, et sa femme restée chez lui.
Les tabous de ce genre pèsent toujours sur les femmes dayaks et [Ill]. Sur les femmes des iles de Key, de [Ill], [Ill] sur celles de la Nouv. Guinée, sur celles du détroit de Torres. Sur celles de (…). Les tabous de pêche et de chasse proprement dits sont peut-être encore plus développés dans toutes ces sociétés, et leur étude pourrait être utilement entreprise par les observateurs. Nous n’avons de véritables renseignements systématiques sur ce point, qu’en ce qui concerne les esquimaux (Boas, 1901, p. 190) [43] et en ce qui concerne les îles du détroit de Torres, de la Mélanésie, mais ces dernières sont dans la limite du système que nous // nous sommes astreints à étudier, les autres doivent être dans une certaine mesure éliminés. [Ill]
Il faudrait bien se garder pourtant de conclure de notre restriction en ce qui concerne l’allusion de ces faits à une restriction concernant leur importance. Quelle que soit la persistance des phénomènes // magiques il en est un certain nombre qui ne peuvent donc nullement subsister au-delà de certains stades de l’évolution.
Les cas de tabous sympathiques [44] semblent être de ceux-là. Ils sont remplacés très vite par les phénomènes plus particulièrement religieux dont les simples différences de degrés les séparent, et c’est par une sorte de miracle sociologique, démonstratif de l’état encore arriéré de certaines campagnes, qu’on y trouve encore des faits homologues, comme ceux de ne pas se laisser couper les cheveux avant la moisson.
Les rites négatifs ont un premier intérêt.
Ils dénotent qu’à la base d’un très grand nombre de phénomènes magiques il y a de véritables états non pas simplement individuels mais même publics. C’est souvent tout un milieu social qui est affolé par cela même que certaines de ses parties accomplissent à un moment donné une sorte d’acte magique. Ces faits dénotent encore que les divers actes de l’agent magique sont solidaires des actes des siens restés chez lui, sont conditionnés par ces actes antérieurs, par exemple les rapports sexuels peuvent enlever à un individu son mana, son pouvoir, ses facultés nécessaires à la chasse, à la pêche, ou lui donner des qualités telles que le poisson [Ill], que l’ennemi sera vainqueur.
Il y a au sens propre du mot, formation d’un vrai milieu social dont l’acte magique est le but absorbant, hypnotisant. Mais les faits sont toute // proportion gardée : encore présents dans nos sociétés, et agissent [45] pour une petite partie sur la vie de certains groupes d’individus. Les joueurs, les chasseurs et les pêcheurs ont encore tout un folklore de chance et de malchance qui rappelle par des traits ressemblants assez forts les notions que nous venons d’indiquer. La plupart ont leurs fétiches, leurs choses prescrites, et leurs choses interdites. Les faits actuels nous aident à comprendre les faits passés ou étrangers à nos mœurs. Le fétichisme du joueur, du chasseur, sa magie inconsciente, négative ou positive (superstition de montrer [Ill], etc. des rencontres, des substances portées sur soi, etc.) sont des simples expressions de l’importance de sa passion, de l’intensité de son attente, de l’incertitude où il est, des causes qui pourront arriver à le satisfaire. Incertitude d’une part, passion intense d’autre part. Au total [elles ?] aboutissent à une véritable prépossession. Le joueur n’a rien que son idée, aucun moyen véritable ne lui est donné de la réaliser. Il est comme suggestionné par elle ; les moyens qui lui semblent possibles sont des moyens efficaces, certains gestes, certains contacts sont au contraire dangereux. Entre toutes les sortes de choses, les intermédiaires et le but fixé, il s’établit une sorte de sympathie [46] ; l’attente, crainte et espoir ne se concentre plus sur le gain mais se diffuse à tous les objets, et c’est ainsi que de bonne foi, certains gens peuvent imaginer faire tourner la veine en faisant tourner divers objets sur la table à jeu, et la maintenir en évitant de les tourner.
Les gens dont les parents sont à la chasse, à la pêche, à la guerre sont [Ill] comme les auteurs de ces actes à la fois [Ill] magiques, dans un état de véritable attente collective. // Ils forment un terrain mental tout à fait favorable aux fausses perceptions et aux illusions qui en sont la conséquence : [Erreur ?] scientifique, expérimentale est (c’est ici que nous rejoignons une des théories courantes de la magie) l’état normal de ces gens, leurs coïncidence devient une loi, un rapport accidentel devient une règle, comme chez nous encore, les scrupuleux et les superstitieux s’abstiennent de certains actes sans relation avec leur but mais où leurs scrupules et la tradition voient seules des relations.
En même temps d’ailleurs que ces états d’attente produisent des sortes d’illusions positives, ils produisent aussi des illusions négatives. Les démentis infligés au magicien par l’expérience ne viennent pas à l’appui des notions magiques par un curieux retour de l’esprit collectif. Ils viennent pour ainsi dire à leur appui et les échecs de la magie se trouvent expliqués non pas par l’erreur des lois magiques mais par l’existence de magies contraires invisibles, faites par des étrangers.
Les notions magiques ne sont pas en effet seulement des idées pures et simples ce sont proprement des idées forces et souvent même elles constituent des forces considérables. Les lois magiques ne sont que partiellement des lois crues expérimentales, // et soumises à un contrôle. Elles sont des lois forces a priori à l’abri de toutes critiques. Elles sont de plus non pas abstraites, mais parfaitement concrètes, et il n’est pas un seul rituel magique qui dise qu’on peut provoquer un seul fait à par des circonstances extraordinairement spéciales et définies.
Il y a sur ce point une différence fondamentale entre l’erreur scientifiquement dite et la quasi erreur magique. L’une est le produit de fautes logiques, l’autre n’est qu’extérieurement le produit d’une logique pure ; elle est en réalité, pour celui qui la pratique, le produit d’une mystique.
C’est pourquoi, encore extérieurement, on a raison de rattacher la magie aussi bien à la science qu’à ce groupe mal défini des croyances que l’on ne détermine pas en le décorant du nom de superstition, qui elles aussi ne sont que des appréhensions discrètes et mal systématisées du concret.
Ainsi l’ensemble des rites et des fonctions magiques nous apparaît comme faisant partie intégrante du système des superstitions et de l’imaginaire, à la fois confus et animé, mais éminemment sillonné de craintes, d’inhibitions d’une part, d’actes et d’espoirs de l’autre.
Mais les uns et les autres sont de nature collective et traditionnelle et non pas simplement individuelle.
Nous avons donc rencontré enfin des faits qui nous ont fait faire un progrès décisif à l’analyse, parce que nous voyons que // ces attentes et ces illusions qui sont la cause même de la magie ne sont pas seulement des phénomènes individuels mais encore des phénomènes collectifs ; dont leurs caractères d’être commun à tout un groupe est tel précisément que l’on peut comprendre comment la croyance a pu s’imposer, être commune à tout le groupe, l’attente, l’illusion sont également collective. Ce n’est pas un seul individu qui croit à sa propre magie. C’est le groupe tout entier qui croit à la sienne.
Mais jusqu’ici, nous sommes restés sur le terrain des rites négatifs magiques d’ordre quasi public, mais les mêmes faits sont d’ordinaire attachés, dans ces mêmes sociétés, à des faits de magie publique positive, proprement dits.
Ces faits sont d’autant plus intéressants qu’ils correspondent non seulement à des états d’attente et de prépossession, mais qu’ils démontrent comment tout un groupe peut poursuivre, par sa simple mise en mouvement, un but magique et fixé préalablement.
Ils montrent comment ce n’est pas seulement en arrêtant des mouvements mais en animant d’un même mouvement tout un groupe social que la croyance magique s’impose [47].
Nous parlerons simplement des rites malayo-polynesiens qu’accomplissent à peu près partout les femmes, vieillards et mêmes enfants pendant le départ des expéditions de chasse et de pêche. // Leur but en général semble être de maintenir une activité externe à l’intérieur du groupe sédentaire, telle que celle que le groupe expéditionnaire doit avoir s’il veut réussir dans ses actes. A Madagascar (les textes anciens sont les plus formels), nous savons par de Flacourt [48], Rochon [49], Ellis [50], que non seulement la plus grande pureté était recommandée aux femmes, mais encore qu’elles devaient veiller de façon constante, ne jamais laisser s’éteindre le feu, et danser continuellement. Pendant l’expédition Dayak – la femme porteur du sabre et qui ne doit pas le laisser tomber – la famille s’intéresse à son chef et à ses membres à une distance considérable, le guerrier doit se lever tôt, c’est pourquoi on se lève tôt à la maison – Dans toutes les tribus maritimes de la nouvelle Guinée, etc. Il y a là plus qu’un fait de « sauvage télépathie », comme le dit Frazer. Il y a télépathie active, il y a identité entre les actes des divers membres du groupe. Il y a une sorte de solidarité mécanique. Un même état mental diffus, une action unique propagée d’un bout à l’autre du corps social ; la croyance se propage seulement sous sa forme [Ill]. Elle est encore une chose vraiment active qui rythme les actes de tout le groupe des intéressés, et en forme un milieu à idée unique, illusoire, quasi hallucinatoire.
Les faits typiques que nous avons // analysé de préférence parce qu’ils nous conduisent comme par la main au résultat cherché, ne sont pas les seuls que nous aurions pu invoquer à l’appui d’une théorie de ce genre. Nous pouvons indiquer deux grandes classes de faits dont nous aurions pu nous servir également, mais avec plus de difficultés. Ce sont les rites de la magie médicale et les rites des faiseurs de pluie. Ce sont toutes deux des parties fort importantes, peut-être des plus importantes des systèmes magiques en général. Faire la pluie, et guérir sont parmi les principaux buts que les hommes ont poursuivis dans leurs arts magiques, or les deux rites ne sont que par un certain coté des rites de magie individuelle et comportent des états de groupe plus ou moins importants, mais ils en comportent toujours à quelque degré.
Commençons par les rites médicaux. La plupart du temps, ils sont accomplis en public, ou tout au moins devant ce public restreint que constitue la famille. Ils ne sont que dans certaines circonstances des rites entièrement secrets, et encore le secret doit être plutôt dû à la gravité de la maladie, aux dangers d’une contagion possible, qu’à la nature du rite médical lui-même. Normalement, ils ne sont vraiment secrets que pour partie et d’ordinaire, les lustrations, les massages, les opérations se font devant la famille et les prescriptions lui sont même données officiellement. Il y a là un groupe social minime mais un groupe organisé avec un chef qui est toute // l’autorité, tout le pouvoir, et un embryon de foule qui est toute l’attente, toute la crainte, tout l’espoir, toute la crédulité et l’illusion. L’action de l’une des parties de ce milieu sur l’autre est immanquable et il ne nous semble pas douteux que c’est à un rôle de ce genre que les magiciens doivent en grande partie leur caractère, leur succès, et même leur persistance dans nos sociétés modernes, soit parmi des couches très basses, soit parmi des couches très hautes et très excentriques de nos populations [Ill]. On peut voir encore de nos jours fonctionner ces états de groupe élémentaires (Famille) dans des rites médicaux du monde Malais, même indonisé, ou colonisé.
Le conclave magique médical, le pawang dans Skeat, la disposition de la famille, du malade, des objets, l’arrivée du pawang, la transe, la détermination des causes, les incantations. Tout cela sont des suggestifs curieux du plus haut degré, étant une action non seulement sur le malade mais encore sur tous les assistants, sur la curiosité desquels porte chacun des gestes que le magicien atteint au fond du [Ill] partage et satisfait.
Analyse du cas des Kayans et Iban (Haddon Head Hunter) [51] Wilken [Ill]
L’interrogatoire magique en Mélanésie, les tindalos, la détermination publique de la cause de la maladie, etc. // Les rites du faiseur de pluie fournissent un exemple encore plus illustre des mêmes faits d’attentes et d’activité collective. On sait quelle importance ils ont pris dans toutes les sociétés de l’Afrique du sud ou les faiseurs de pluie ont [Ill] supérieure que le chef ou le roi [52]. Mais dans un grand nombre de cas, le faiseur de pluie et ses rites sont plutôt restés dans le monde magique, seul et en marge des cultes régulier et obligatoire. Ils n’ont été que l’intermédiaire nécessaire entre un groupe et un but désiré par tout un groupe, mais il n’a jamais été, en Australie, en Mélanésie, un rite exclusivement individuel, car le besoin de pluie est d’ordinaire ressenti par une collectivité. Analyse de rites : Roth, Mycooloon et Pitta Pitta, le grattage collectif, le bani - les gens qualifiés, hypothèses d’un clan de l’eau. Spencer et Gillen [53], l’intichiumma du totem de l’eau. Nature magique religieuse de ces rites.
Il y a d’autres cas plus nettement magiques. Wakelbura tribu de Perth, tribu de King Georges [Ill], Dieres, les Mura Mura. Histoire des Wirreenun de Langloh Parker, la disette, les invectives des jeunes gens au faiseur de pluie, la façon dont il récite les tabous, en moitié à secret // la formule, l’arrivée de la pluie, déluge. Le [Ill] ici grossit encore l’effet. Faits mélanésiens, Codrington, de Kochas, E. B. Woodjord, etc.
Ici nous apercevons fonctionnant vraiment sous nos yeux un fait complet de magie publique : un de ces états ambigus des rites dont le caractère adoratif n’est pas plus net que le caractère théurgique, le caractère individuel que le caractère public, le caractère matériel que le caractère spirituel car les forces mises en mouvement sont à la fois des esprits et des choses. Ce sont des individus qui pratiquent mais en vertu d’une autorité sociale ; ce dont ils se servent ce sont des objets plus ou moins consacrés ; le groupe les attend, les incite, se solidarise avec eux : leur idées, leurs attentes sont communes, et c’est de ces idées et de ces attentes qu’est faite la magie du faiseur de pluie. La présence de la [Ill] sociale qui semble cesser au moment où le magicien se retire dans son enclos plus ou moins sacré, est au contraire plus forte que jamais ; dans l’esprit du magicien et dans celui de ses lointains spectateurs, ce sont de mêmes notions ; cette notion de puissance, de potentialité magico-religieuse. C’est en somme la tradition et l’impatience du groupe qui fonctionne seules à ce moment-là.
L’étude de ces faits ne peut être qu’indiquée ici, et leur analyse définitive ne peut y être faite puisque nous // ne sommes pas arrivé à une théorie générale des rites et des [Ill] magiques aussi bien que religieux. Nous avons atteint notre but si nous avons pu montrer à l’aide de ces faits plus complexes ou plus élémentaires que des rituels magiques, même plus élaborés, qu’il existe au sein de la magie, une sorte de notion du sacré, tout à fait comparable à celle que nous avions retrouvé tout au long du rite sacrificiel. Nous avons atteint notre but si nous avons réussi à montrer comment cette notion était l’expression de l’influence de la société sur l’individu auteur ou provocateur des rites magiques.
Même si nous avons dû, à la fin de notre analyse, étudier des faits dont le caractère magique est relativement douteux, nous sommes arrivés à nos fins si l’on nous concède que ces faits possèdent, peut-être, en outre de certains autres, tous les caractères généraux du fait magique, et si nous semblons bien avoir expliqué des faits qui comprennent la magie tout au moins pour partie intégrante. Au surplus, nous aurons à prouver plus tard, lorsque nous en viendrons à l’étude des rapports de la magie et de la religion, que ces faits complexes, à la fois magiques et religieux, sont vraiment des faits [sociaux ?], et à légitimer ainsi l’importance que nous lui avons reconnue. //
[Ill] Du jour ou ces forces surajoutées ont cessé d’être imaginées, le rite est devenu un simple acte laïque et technique, comme lorsque le massage médical a subsisté parce qu’il s’est vidé de tout ce que contenait de forces, et quadruples puissances, le massage du rebouteux. [Ill] qu’ont les forces, c’est à dire ces conditions, ces circonstances spéciales favorables et défavorables, ces individus qualifiés en dehors des moments qu’ils accomplissent, ces esprits plus ou moins engagés dans la nature, et ces natures (minéraux, et plantes, couleurs et qualités) toujours spirituelles, la magie a [Ill].
Mais cette notion obscure, normalement inexprimable par un mot de puissance, d’efficace, de chose sui generis enfin, ne traduit qu’une chose, mais la traduit vraiment bien. Elle est tout simplement l’image nécessairement produite, nécessairement obscure, des craintes des hésitations collectives devant les phénomènes qui heurtent la règle habituelle des choses, et c’est pourquoi les choses à pouvoir sont normalement à quelques degrés des choses plus ou moins mises hors le domaine commun. Elles sont des choses efficaces. //
Conclusion
La magie nous apparaît en somme comme un système de faits vraiment sociaux. Mais il ne faut pas oublier aussi que, puisque par définition nous n’y trouvons guère, comme agents, que des individus, dès qu’elle s’est constituée comme phénomène absolument à part, la magie fut l’apanage presque exclusif de l’individu. En montrant comment elle peut être à la fois l’un et l’autre nous croyons avoir acquis un résultat non seulement de sociologie religieuse, mais encore de sociologie générale puisque nous croyons avoir montré comment l’individu isolé peut arriver à ne travailler que sur des phénomènes sociaux. Et comment la transmission d’arts magiques est elle-même bien que faite d’individu à individu, un phénomène social.
Nous avons assigné une nature à la magie, et nous avons indiqué provisoirement une origine possible [Ill]. // [Ill] Pendant un temps assez long la magie est restée en quelque sorte une technique pour diverses raisons. Elle poursuivait des buts que poursuivent actuellement les arts : de la [Ill], de la médecine, de la chimie, de la mécanique, elle visait des effets atteints quelques fois par les mêmes procédés que ce qu’elle employait mais auxquelles elle attribuait une autre valeur qu’une valeur mécanique.
La magie est essentiellement un art de faire, de produire des effets. Et par effet il faut entendre de véritables effets matériels.
Moyens et buts poursuivis sont à la fois concrets et spirituels, mais ils sont toujours concrets. Par un certain côté la magie, certains des mots employés par les religions l’indiquent, c’est le domaine de la production pure, pour ainsi dire ex nihilo. La magie consiste au savoir faire en faire à croire. Elle est la technique la plus facile, elle suscite la cause et l’effet, en réalisant de façon imaginaire l’effet.
Elle consiste dans une technique qui ne fait rien mais qui fait croire, elle fait tout avec de pures idées collectives. // Elle est non seulement une technique mais encore une science, et ce n’est pas sans raison que les faits et les théories se rapprochent normalement de la divination, de l’astrologie, de la mystique car elle pose à un haut degré un caractère idéologique.
Elle est dirigée en effet non seulement sur la production des choses mais vers leurs connaissances.
Elle n’a pas, comme la religion, pour but de permettre à l’individu de [Ill], elle a pour but les choses concrètes, sur lesquelles elles vont exercer son pouvoir.
Par la même, elle se trouve dirigée vers la nature tout comme la science et enregistra un certain nombre de lois que précédemment la science n’eut qu’à vider de leur contenu social, de leur sympathie et de leur antipathie, de notions vidées de tout contenu, objectif, pour avoir de véritables propositions scientifiques. // La nature collective des notions magiques est donc apparente. Il s’agit de la notion de force magique elle-même. Il s’agit maintenant de l’expliquer.
Elle est, nous l’avons vu, une notion commune à la magie et à la religion. Ce monde séparé et interne est celui des dieux et des esprits et des puissances spirituelles bonnes ou mauvaises. Or, c’est elle qui sépare la synthèse des termes de la magie dans l’esprit collectif. Elle est présente partout, dans tout ce qui est rite et ce qui est traditionnel, en même temps qu’efficace, d’une efficacité spéciale.
C’est elle qu’il s’agit d’expliquer pour expliquer la magie, puisqu’elle est une sorte d’application. Nous pouvons donc prévoir que cette explication pour être assez exhaustive va nous faire sortir du domaine de la magie pure, et nous amener à des phénomènes mentaux qui ne sont pas spécialement magiques mais religieux.
Une pareille nécessité est loin de nous embarrasser. Il ne s’agit en effet rien moins que d’indiquer une double hypothèse. À savoir celle d’une confusion primitive de la magie et de la religion et celle d’une antériorité des formes collectives de la magie sur les formes individuelles.
Nous commencerons dans ce travail une démonstration toute provisoire en établissant que ce sont précisément dans des phénomènes magico-religieux que nous trouvons, mieux que partout ailleurs, des états mentaux où tout un groupe d’homme a pu créer cette notion de force, de mana, de pouvoir séparé.
Nous terminerons même cette démonstration quand, ayant retrouvé ces états de groupes primitifs, nous montrerons comment, sur eux a pu se // greffer tout le système de la magie individuelle, de la magie proprement dite.
Nous suivons aussi une espèce de [Ill] méthode analytique, où nous retrouverons sous cette notion obscure et mêlée de puissance mystique, des états primitifs, puis une méthode [synthétique] où nous montrerons comment le sorcier fini par utiliser cette puissance que la collectivité a seule créée. Naturellement nous aurons en bien des points à supposer résolue la question des multiples et divers rapports que la religion soutient avec la magie, mais il n’ y aura pas pour nous de difficultés, puisque de plus en plus apparaîtra qu’outre les phénomènes magiques et les phénomènes religieux il n’y a que des différences de [Ill] et de positions et non pas des différences de nature.
[1] Dans le manuscrit, il est possible de lire ce passage barré : « d’un tout qui est plus réel que ses parties. Les parties en effet pour visibles qu’elles soient ne sont ni les unes ni les autres essentielles. Elles sont simplement nécessaires à des degrés divers, souvent infini [ill] puisque l’on peut trouver des rites magiques sans nos trois définitions ».
[2] « Indistinction »
[3] « seule et unique »
[4] La fin de la phrase barrée indique : « et qu’ils n’en sont que les divers moments ».
[5] « musulmane »
[6] Dans le manuscrit « collectives »
[7] Il n’est pas impossible que la référence soit à George Grey (1812-1898), gouverneur de Nouvelle Zélande entre 1841 et 1845 et auteur d’une très fameuse Polynesian Mythology (1885).
[8] « manifestations »
[9] « explication »
[10] « expliquer ».
[11] Dans le manuscrit, ce passage a été barré : « Mais dès lors, l’écart entre le rite, le mot, la phrase et la chose suscité apparaîtra tel que l’on sentira tout de suite combien il reste de choses inexpliquées à l’intérieur du rite magique lui-même. »
[12] On peut lire dans le manuscrit ce passage barré : « et la magie loin d’en recevoir les explications, les explique elle-même ».
[13] La suite de la phrase a été barrée : « et n’en n’ont ni dans l’expérience ni dans l’avenir ni dans la science qu’elles ne contribuent qu’à fourvoyer ».
[14] « surajouté ».
[15] « la puissance ».
[16] Ce paragraphe a été barré : « Il se trouve, par bonheur, qu’un certain nombre de peuples ont réussi à prendre bien conscience de cette notion, normalement obscure et complexe quoique vraiment élémentaire, parce qu’elle est riche en éléments. Dans la plupart des cas elle est restée inexprimée et l’on cherchera vainement en grec ou en sanscrit un mot qui désignerait exactement tout ce que nous désignerons par ce caractère, ou bien les peuples n’ont pas été assez intelligents pour se rendre compte, par leur langage de leurs propres idées, c’est le cas des australiens de Grey qui définissait le pouvoir du sorcier en disant que le boolya est celui qui a le bool-ya. Ou bien ils ont dépassé le stade intellectuel et religieux ou cette notion peut fonctionner normalement. » La référence est peut-être à George Grey, Journals of Two Expeditions of Discorvery in North-West and Western Australia, London, Boone, 1841.
[17] On peut lire sur la marge du manuscrit : « Or cette notion nous n’avons pas entièrement à la reconstituer. Elle nous est donnée, en fait. De l’analyse précédente nous considérons qu’elle est universelle ».
[18] Ce paragraphe a été barré : « Nous avons vu qu’en somme tous les efforts faits par les magiciens pour expliquer leurs [idées ?] et rites par un système idéologique de principe avait échoué et laissaient toujours un résidu à l’analyse. La raison en est peut-être encore plus profonde qu’on ne pourrait le soupçonner. La notion de force qui unit les. Considérons un instant, pour ainsi dire d’un point de vue logique, les notions et les rites magiques comme formant de véritables jugements : le feu du magicien produit le soleil du ciel [ill] ».
[19] « sa force »
[20] « Le soleil est produit par le feu ».
[21] « Ce qui est donné en somme c’est la fin ».
[22] On peut lire dans la suite du manuscrit ce passage barré : « Faute de cette supposition que la société est l’être vraiment pensant de la magie toute explication est destinée à l’expliquer par le hasard des remarques des primitifs sorciers, par l’imitation, par les lois uniformes du développement, [ill] c’est-à-dire en somme par une espèce de néant logique. »
[23] « sinon une conscience sociale ».
[24] « si peu contingent qu’il soit, car la magie n’a qu’un petit nombre d’idée à son service ».
[25] « collective »
[26] « habituelle »
[27] « pour lequel il n’y a en somme que du profane ».
[28] « imposés magiquement ».
[29] On peut lire dans la suite barrée du manuscrit : « Cette superposition d’actions occultes, de [ill], de choses mystérieuses, cette superposition d’un monde à un autre ne peut elle aussi être d’origine purement individuelle, dans une certaine mesure, les notions magiques en arrivent à recouvrir, à voiler, à supprimer même toute notion empirique. »
[30] « comme si une nouvelle réalité se mêlait à l’ancienne, réalité courante dont tout individu sauvage ou civilisé à la pleine conscience. »
[31] « de mystérieux »
[32] On peut lire dans la suite barrée du manuscrit : « Le monde magique est social non seulement parce qu’il est séparé de l’autre mais encore parce qu’il lui est surajouté en même temps qu’[inhérent ?]. L’esprit individuel ne peut se figurer que des mouvements, seul l’esprit collectif peut se figurer des secrets entre les choses, des puissances créatrices ; des [ill], des mots créateurs, des esprits producteurs de choses dont ils sont distincts. »
[33] « ses idées ».
[34] « où se joue toujours le drame du sacrifice ».
[35] Il s’agit de Walter Roth, Ethnological Studies among the North-West-Central Queensland Aborigenes, Brisbane and London, 1897.
[36] « religieux ».
[37] On peut lire ce passage barré : « et il ne s’agit que de phénomènes sociaux d’un caractère plus ou moins éminemment collectif et public. »
[38] « un milieu dont la société se retire ».
[39] La suite de la phrase a été barrée : « Non seulement le milieu est un milieu collectif, mais les notions en jeu sont toutes exclusivement sociales. »
[40] « Elles sont les êtres normalement accusée de magie. »
[41] « tabous ».
[42] On peut lire ce passage barré : « Mais la nature magique ou religieuse des tabous sympathique peut être assez facilement mise en question. »
[43] Il s’agit de Franz Boas, The Eskimo of Baffin Land and Hudson Bay, New York, 1901.
[44] « magies collectives ».
[45] « affectent ».
[46] « un milieu solidaire ».
[47] On peut lire dans le manuscrit ce passage barré : « Nous ne parlerons pas des cas si curieux des rites préalables à la guerre accomplie par les femmes nègres. »
[48] Etienne de Flacourt, Histoire de la grande isle Madagascar, Paris, Clouzier, 1661.
[49] Alexis-Marie de Rochon, Voyage à Madagascar et aux Indes orientales, Paris, Prault, 1791.
[50] William Ellis, Three Visits to Madagascar, London, Harper, 1859.
[51] Alfred Haddon, Head-Hunters, Black, White, and Brown, London, Methuen, 1901.
[52] On peut lire dans le manuscrit ce passage barré : « et comment ils sont devenus dans beaucoup de sociétés, partie intégrante des rites religieux, aussi de grandes fêtes saisonnières »
[53] Baldwin Spencer, F. J. Gillen, The Native Tribes of Central Australia, London, Macmillan, 1899.