L’un de ces savants, férus d’astronomie et de matériel scientifique, peut très bien avoir possédé des globes dans son cabinet à un moment donné. On distingue d’ailleurs un tel objet à l’arrière-plan du portrait de Loys de Cheseaux. Pourquoi ne pas imaginer qu’il en ait ensuite fait don à l’Académie de Lausanne ? A nouveau, les archives sont dépouillées. On y découvre plusieurs mentions de globes.
En 1780, Alexandre César Chavannes rédige une histoire manuscrite de l’Académie de Lausanne. On y apprend que des princes allemands auraient offert deux sphères à l’université, mais celles-ci sont qualifiées « de la façon de l’Abbé Nolet ». Jean-Antoine Nollet a réalisé plusieurs globes entre 1725 et 1730. Ceux-ci sont particulièrement petits (32,5 cm de diamètre), une confusion avec ceux de Mercator semble donc impossible.
En 1794, à la mort de Théodore-Louis de Treytorrents, l’inventaire des biens du défunt mentionne plusieurs objets intéressants. On y trouve ainsi deux globes et une sphère, des objets qui auraient été mis à la disposition de ses successeurs.
Entre 1802 et 1807, le prof. Emmanuel Develey sera le dépositaire, avec un certain C. Chavanne, de plusieurs appareils scientifiques appartenant à l’Académie de Lausanne. Ces objets sont mis à sa disposition pour l’élaboration de ses cours. La liste mentionne deux globes, dont voici l’intitulé exact : « Un globe terrestre et un céleste d’environ un pied de diamétre par De l’Isle ». La taille, comme son attribution formelle au géographe français, semble donc à nouveau exclure qu’il s’agisse de globes de Mercator.
Le Catalogue du cabinet de physique du Citoyen [Henri] Struve (ACV Bdd 156-08 et Bdd 156-09), document non daté mais très certainement antérieur à 1826, indique également la présence de globes, terrestre et céleste, ainsi que d’une « Réprésentation du systéme du monde » (sic). Il s’agit peut-être des même globes que mentionnés dans l’inventaire de Treytorrens ; en l’absence de toute description, il est difficile de l’affirmer comme de l’exclure.
Jean-François Loude, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, remarque également dans ce catalogue la présence de deux colonnes de prime abord assez mystérieuses : des « Machines de Socin » et des « Machines qui ne sont pas de Socin ». Or le Cabinet Socin, très connu par ailleurs, était la propriété d’un certain Abel Socin (1729-1808). Ce Bâlois l’avait vendu en 1794 au professeur Emmanuel Develey, qui le revend à Henri Struve une année plus tard. Voilà qui explique l’origine d’une grande partie des instruments de physique inventoriés en 1825.
Avant son retour à Bâle en 1778, Socin avait travaillé longtemps à Hanau, près de Francfort. Il y avait très probablement constitué une grande partie de son cabinet. La paire de globes Mercator en faisait-elle partie ? Cette piste rhénane serait sans doute intéressante à creuser.
Bien sûr, durant les années suivantes, plusieurs autres professeurs se succèdent à la chaire d’astronomie lausannoise. Ils peuvent tout aussi bien être à l’origine de l’acquisition des globes :
En conclusion, malgré la consultation de nombreuses sources, rien ne permet de conclure à un legs ou à un don en faveur de l’Académie ou de l’Université de Lausanne. La question de l’origine de la paire de globes de Mercator à Lausanne demeure donc toujours totalement ouverte.
La mémoire humaine faisant défaut, il faut se rabattre sur les indices matériels. Les deux globes portent plusieurs étiquettes sous leur socle. Celles-ci semblent d’ailleurs avoir été posées sur l’emplacement d’un précédent étiquetage aujourd’hui disparu.
Etiquette collée
Musée d’histoire des sciences No d’entrée
avec la mention manuscrite Lausanne.
Musée d’histoire des sciences No d’entrée 54
avec la mention manuscrite Observatoire.
Etiquette en plastique vert
VD
Contrairement au globe terrestre, le globe céleste porte un numéro d’inventaire, ce qui devrait faciliter les recherches. Mais nouvelle déception, l’objet 54 du Musée d’histoire des sciences de Genève correspond à un appareil de la collection De Saussure et nullement à un globe.Inscription manuscrite
2 Coeli
Un dépouillement complet de la correspondance du Musée d’histoire des sciences de Genève révèle un échange de lettres en juillet 1983 entre la conservatrice, Margarida Archinard et le scientifique Peter van der Krogt. Cet échange confirme qu’à cette époque le musée ne possède aucune sphère d’origine hollandaise (section B 343 D.4.2).
Mme Archinard, directrice du musée depuis 1977, mais également assistante du précédent directeur depuis 1973, n’a jamais entendu parler de globes Mercator à Genève. Elle assure d’ailleurs que s’ils avaient existé, elle ne les aurait pas laissé partir ! Cependant, elle sait que plusieurs objets de valeur ont été emportés des collections avant son arrivée. Elle a d’ailleurs publié une liste de ces objets disparus, mais une fois de plus, les globes de Mercator n’y figurent pas.
Malgré la présence de preuves physiques, la piste du Musée d’histoire des sciences de Genève ne mène donc à rien de concluant.
]]>Les globes, découverts en 2004 dans un bureau du Cubotron, n’étaient sans doute pas là depuis très longtemps. Est-il possible de recréer leurs déplacements et par là de résoudre le mystère de leur origine ?
Bernard Hauck, ancien directeur de l’Observatoire de Genève, donne une première indication sur le parcours suivi par les globes. Il se souvient les avoir autrefois remarqués dans les anciens locaux de l’Observatoire du chemin des Grandes-Roches à Lausanne. A sa nomination à Lausanne en 1976 comme professeur d’astronomie, c’est lui qui les déménage dans le Collège propédeutique I de Dorigny (aujourd’hui Amphipôle), puis à l’Observatoire de Sauverny. L’un des ces globes se trouve ensuite dans son bureau de vice-recteur au bâtiment du Rectorat de l’UNIL (Unicentre) entre 1987 et 1991. A l’époque, il n’est pas vraiment conscient de la valeur historique de ces objets.