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1613

Jean Gracieux dit Des Lauriers ou Bruscambille, Les Nouvelles et plaisantes imaginations de Bruscambille

Paris : impr. de P. Huby, 1613

Description des comédiens

Dans une veine rabelaisienne, Bruscambille entreprend dans ce prologue de défendre les comédiens, qu'il distingue des bateleurs et autres bouffons :

Des accidents comiques
(suite du discours précédent)

Quelle différence y a-t-il entre le contemplateur et la chose contemplée, entre l'auditeur et le harangueur, entre l'attendant et l'attendu ? La différence est grande, parce que vous qui me contemplez, qui m'avez longtemps attendu, n'estimez rien moins qu'une bonne étuvée panurgique de ma venue. Et moi, tout au contraire, faute d'ingrédients, suis résolu de vous déclarer non recevables avec dépens. Vous ne le croyez pas, messieurs ? Si cela n'est, que le nez de mon plus proche voisin puisse servir de bouchon à mon derrière, au péril de cinquante pétarades, pour lui friser les moustaches.
Toutefois, poussé d'une fureur platonique, je vous rapporterai fidèlement ce que les idées de ma cervelle me dicteront. Qui est le franc taupin qui oserait bien suspendere nasum à l'encontre de mes propositions ? Si je jure une fois par la moustache d'un morpion, j'enverrai ces momes droit aux Olympiques de Montfaucon, avec cette devise : Rident avipides. Mais laissons cet honneur colérique :c'est sur les préférences que ma doctrine veut aujourd'hui argumenter et maintenir qu'entre toutes les vacations, la comédie doit tenir le premier rang. Et, de fait, que trouvez-vous de plus curieux qu'un comédien, de plus poupin, de plus frisé ? Qu'y a-t-il au monde d'inconnu aux comiques que l'oisiveté ? Je n'entends comprendre ici un tas de petits bateleurs qui usurpent la qualité de comédien, et qui n'ont pas si bonne provision de science que de rubans jaunes, blancs ou rouges, entrelardés de leurs moustaches et de bracelets composés ou de tissus de je ne sais quels vilains cheveux qu'ils auront pris au peigne crasseux de quelque pauvre chambrière de village, et qui, pour avoir été tant seulement regardés d'une dame, ne s'imaginent rien moins que lui sauter en croupe à la première rencontre. Au contraire, j'entends parler de ceux qui représentent en leurs actions le pur et vrai microcosme de la nature comique. Retournons donc à eux, et laissons là ces caméléons, qui ne se repaissent que de vent et de fumée.
La première proposiion du comique, c'est intra, je m'en rapporte à nos hôtes ;quand nous allons par les champs, que demandez-vous messieurs ? Qui êtes vous ? Nous sommes comédiens, Fiacre, le moindre desquels est pourvu de trente-deux dents, lestes et affilées comme le rasoir d'un châtreux. Alors, d'une voix organisée, et principalement si c'est en Languedoc ou en Provence, on vous répondra :Intras, intras! La seconde préférence ou proposition du comique, nos hôtes l'appellent pone; celle-là gouverne le tourmentatif, car, à faute de munition de bourse, nos épaules courent fortune d'être démantelées et mises au clair de la lune ;mais nous n'en sommes que plus légers et dispos pour mieux courir la pelote.
Les sages d'Égypte élevaient les hommes laborieux entre les demi-dieux, et leur consacraient l'olive pour signifier que les travaux sont enfants légitimes de la sapience. Qui mérite aujourd'hui ce rameau, que le comédien ? s'entend, le bon : mais il s'en trouve bien peu. Après le travail du comique, lui succède le plaisir. L'on parle des sauces de Cléopâtre et d'Atilie. Mais, je soutiens qu'il n'est saupiquet plus friand que celui que le labeur apprête aux comiques. Qu'ainsi ne soit, figurez-vous de nous voir en la rue d'Enfer embourbés jusqu'au cul, battus des quatre vents, dont l'un nous souffle la grêle, l'autre le froid, et l'autre la pluie, sans autre monnaie pour payer notre hôte que quelques fleurs de bien dire dans une bourse brodée à la Rhétorique. Se peut-il imaginer à notre arrivée à l'hôtellerie une escarmouche plus furieuse ? Quelles estocades franches entre l'épée et le poignard ? On ne s'amuse point à prendre des linettes pour choisir les bons morceaux ;chacun à bon pied bon œil ;au diable l'un qui mettra ses mains dans ses pochettes, et, à la vérité, aussi personne n'est admis en cet exercice qui ne soit bon limier de taverne. Que ce peut-il alors trouver de plus persuasif pour faire la dissection d'un membre de mouton, de plus résolu pour étriller un aloyau sur le ventre, et partout, qui laborat quiescit. [...]
Baste, la comédie est une vie sans souci, et quelques fois sans six sols. Térence sert de cul de lampe à notre théâtre, Sénèque de chandelier, pour suppléer aux solstices d'hiver, Ovide d’arc-boutant, Roscius de portier, pour recueillir le fruit des marmites étrangères, et maître Guillaume le hallebardier, pour la manutention et défense de nos droits. Ce discours, selon mon avis, sera en partie loué et en partie réprouvé, mais il faudrait être un Protée pour plaire à tout le monde. Donc, pour conclure, je finirai par les vers de Jean Pelison, dit Despautère :Delectat atque juvat dat quarto et oporter.

Édition de 1615 en ligne sur Google Books p.67-71


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