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1673

Antoine Jacob dit Montfleury, L'Ambigu comique ou les Amours de Didon et d'Énée

Paris, P. Promé, 1673

Stratégie d'autopromotion et éloge de la troupe du Marais

Cette tragédie en trois actes est entremêlée d'intermèdes comiques à la manière de la tradition espagnole. Dans le premier intermède intitulé Le Nouveau marié, un personnage ridicule de jeune marié refuse qu'on donne la comédie demandée par sa nouvelle épouse. Dans la scène VI, le personnage ridicule méprisant la pièce et la troupe du Marais permet paradoxalement à Montfleury d'en faire l'éloge indirect. Il en profite pour défendre la forme hybride de cette pièce :

MONSIEUR VILAIN.
Mais quels comédiens sont-ce ?

DAMIS.
Ceux du Marais.

MONSIEUR VILAIN.
Du Marais! Du Marais ! Je crois qu'on s'étudie...

DAMIS.
Comment ?

MONSIEUR VILAIN.
Vous donnent-ils gratis la comédie ?

DAMIS.
Ont-ils accoutumé de la donner gratis ?

MONSIEUR VILAIN.
Irait-on autrement, mon cher, à votre avis ?

DAMIS.
Moi, je les ai crus bons, leur équipage est riche,
Leurs pièces...

MONSIEUR VILAIN.
Les voit-on jamais que dans l'affiche?
Les acteurs inconnus de ce lieu déserté,
Sont d'un plan qui jamais n'est bon que transplanté.
Jamais sortant chez eux d'une pièce nouvelle,
Entend-on, Eh Laquais de Madame unetelle?
Y trouve-t-on jamais ce cortège nombreux
De pages, de laquais, de carrosses pompeux,
Dont l'utile embarras, et le grand étalage,
Font juger par dehors des beautés d'un ouvrage ?
Jamais auteur de nom leur donna-t-il un vers ?
Il faut que le beau-frère ait l'esprit de travers.

DAMIS.
Ils auront des auteurs, et ce sont des indices...

MONSIEUR VILAIN.
Oui, l'on dit qu'il leur vient cinq ou six auteurs suisses.
[...]
Et quelle pièce encor nous faites-vous donner ?

DAMIS.
Leur Ambigu comique; on dit que cette idée...

MONSIEUR VILAIN.
Je sais bien; autrement c'est la Didon lardée
D’intermèdes, dit-on, n'est-il pas vrai ?

DAMIS.
Fort bien.

MONSIEUR VILAIN.
La Troupe du Marais ! Cela ne vaudra rien.

DAMIS.
L'idée en est nouvelle; et même je m'étonne
Qu'elle ne soit tombée en l'esprit de personne,
Et comment quelque auteur ne s'est point avisé...

MONSIEUR VILAIN.
A cela qui, morbleu, voudrait s'être exposé ?
Qui voudrait avoir eu la vision fantasque,
D'habiller sans respect la tragédie en masque ?
D'en faire avec la farce un mariage impur ?
L'idée a quelque chose en elle de si sûr,
Qu'un semblable projet, en bonne politique,
Devrait s'être attiré la censure publique.
Je n'en saurais, morbleu, parler qu'avec chaleur.
Mais si pour mes péchés, Dieu m'avait fait auteur,
J'aurais fait trop de fonds sur mes délicatesses,
Pour appeler la farce au secours de mes pièces.
Un semblable projet ne m'eût jamais tenté;
Et quelque grand succès qui pût m'avoir flatté,
Je n'aurais jamais pu, pour les voir applaudies,
En poète cuisinier farcir mes tragédies.

DAMIS.
Je ne veux point ici combattre vos raisons.
Mais voyons-la, Monsieur, et nous en jugerons.
Quelquefois sans sujet on a l'âme obsédée.

MONSIEUR VILAIN. à Madame Brionet, montrant Damis.
La Troupe du Marais, et la Didon lardée,
Juste ciel ! Non, morbleu, je n'en puis revenir.

DAMIS.
Peut-être que tantôt vous pourrez convenir,
Que la Troupe et la pièce ont de quoi satisfaire.

MONSIEUR VILAIN.
Des badauds comme vous, qu'en dîtes-vous, beau-frère ?

Comédie en ligne sur Gallica p. 28-32.


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