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1668

Gabriel Guéret, Le Parnasse réformé

Paris, T. Jolly, 1668

La tragédie vue par Tristan

Le narrateur conte à Nicandre le songe merveilleux qu'il a fait : les auteurs, anciens et modernes, arrivent au Parnasse pour vanter leurs mérites auprès d'Apollon. Tristan intervient dans la conversation pour faire le portrait des poètes dramatiques :

Plût à Dieu, poursuivit [Tristan], que nos poètes du théâtre n’eussent que ce défaut [être mal habillé], je le leur pardonnerais volontiers. Mais tout au contraire de ceux dont vous parlez, ils sont superbes dans leurs habits, leur mine est relevée de mille sortes d’ajustements, et leurs poèmes sont languissants et destitués de conduite. Quand je parle ainsi, j’excepte le fameux auteur du Cid, qui a porté le cothurne français aussi haut que celui d’Athènes et de Rome. Ma plainte ne tombe que sur quelques jeunes gens sans connaissance, dont les comédiens avides de nouveautés prennent tout ce qu’ils leur présentent, et qui mettent leurs noms à des poèmes, dont ils sont plutôt les héritiers que les auteurs. Ces poètes que révère l’Hôtel de Bourgogne et le Marais, et qui passent pour de grands hommes dans l’esprit des marchands de la rue Saint-Denis, ne connaissent pas davantage La Poétique d’Aristote et de Scaliger que le Talmud ; ils n’ont que des bluettes de feu qui ne durent qu’un moment ; ils s’embarrassent dans des intrigues qu’on ne saurait suivre, et qu’ils ne peuvent eux-mêmes dénouer ; les sentiments qu’ils donnent à leurs personnages sont bien souvent contraires à leurs intérêts et ils appellent une bonne pièce quand il y a d’un côté un galimatias brillant, de l’autre un petit mot de tendresse, et ailleurs quelque pensée hardie ou quelque maxime politique, fût-elle dans la bouche d’une soubrette. Ils ont remis sur le théâtre toutes les bouffonneries que l’on en avait chassées : les pédants et les marquis ridicules y tiennent la place des héros et des empereurs ; le langage paysan en a presque banni celui de la poésie héroïque, et les postures lascives et indécentes y triomphent des gestes graves et majestueux.

En ligne sur Google Books, p. 71-73.


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