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1670

Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chénault, 1670.

Racine contre Corneille : Bérénice

Dans sa lettre du 20 décembre 1670, Robinet rend compte de la représentation de Bérénice de Racine, donnée dans le cadre des épousailles du duc de Nevers et de Mademoiselle de Thiange, mais revient rapidement à la pièce rivale, celle de Corneille :

Or, pour le divertissement
Qui précéda le sacrement,
Et toute chère nuptiale,
L'excellente Troupe Royale
Joua miraculeusement,
C'est-à-dire admirablement,
Son amoureuse Bérénice
Et chacun, en rendant justice
Tant aux actrices qu'aux acteurs,
Les traita de vrais enchanteurs,
Surtout Floridor, cet illustre,
Que son métier couvre de lustre,
Et la charmante Champmeslé,
Dont j'ai, déjà, souvent parlé.
La Bérénice de Corneille,
Qu'on peut, sans qu'on s'en émerveille,
Dire un vrai chef-d'œuvre de l'art,
Sans aucun "mais", ni "si", ni "car",
Est fort suivie, et fort louée,
Et, même, à merveille jouée,
Par la digne Troupe du Roi,
Sur son théâtre, en noble arroi.
Mademoiselle de Molière,
Des mieux soutient le caractère
De cette reine, dont le cœur
Témoigne un amour plein d'honneur.
Cette autre admirable chrétienne,
Cette rare comédienne,
Mademoiselle de Beauval,
Savante dans l'art théâtral,
Fait bien la fière Domitie
Et Mademoiselle de Brie
Qui tout joue agréablement,
Comme judicieusement,
Y pare grandement la scène,
Parlant avec cette Romaine,
Qui l'entretient confidemment,
Dessus l'incommode tourment
Que lui cause au fond de son âme
Son ambition et sa flamme.
La Thorillière fait Titus,
Empereur orné de vertus,
Et remplit, dessus ma parole,
Dignement cet auguste rôle.
De même, le jeune Baron,
Héritier, ainsi que du nom,
De tous les charmes de sa mère,
Et des beaux talents qu'eut son père,
Y représente, en son air doux,
Domitien, au gré de tous,
Dans l'amour tendre autant qu'extrême,
Dont ladite Romaine il aime.
Enfin, leurs confidents, aussi,
Dont à côté, les noms voici [Les Sieurs Hubert, du Croisy, et La Grange]
Y font très bien leur personnage,
Et dans un brillant équipage,
Ainsi que tous, pareillement,
Dont l'on ne doute nullement,
Font dans Le Bourgeois gentilhomme,
Où La Grange, en fort galant homme,
Fait le rôle qui lui sied mieux,
Savoir celui d'un amoureux.
Ayant vu l'une, et l'autre pièce,
Avec extase, avec liesse,
J'en puis, ceci, mettre en avant,
Et j'en parle comme savant.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


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