Comment dépasser l’incertitude en médecine ? Ou plutôt comment « faire avec » puisqu’elle est omniprésente, jusque dans les effets secondaires des médicaments que nous prenons ? À quelques semaines de sa retraite, le doyen de la Faculté de biologie et de médecine, le professeur Jean-Daniel Tissot, estime que « l’incertitude est le moteur de la médecine ». Elle se trouve au cœur du « projet thérapeutique » qui lie le médecin à son patient et qu’il résume ainsi, côté médecin : « Je ferai tout mon possible pour trouver la cause de votre maladie, tout ce qui est en mon pouvoir pour la guérir et tout pour vous éviter de souffrir ».
Le patient a bien entendu son mot à dire, mais il faut, pour qu’il puisse faire un choix éclairé, lui apporter « les informations éclairantes ». Dire, par exemple, que tel médicament réduit de 50% vos risques d’accident cardio-vasculaire parce que sur 1000 personnes ne l’ayant pas pris huit sont mortes, alors que chez les 1000 l’ayant pris quatre sont décédées, ce n’est pas très éclairant du point de vue de la personne particulière à qui l’on s’adresse.
L’hématologue puise un exemple de fausse certitude dans sa discipline : un niveau de plaquettes (cellules essentielles à la coagulation) peut être « normal » et cependant « anormal » si le patient présente un syndrome inflammatoire. Ou encore : le fait d’avoir des anticorps contre le coronavirus est une chose, savoir s’ils vous protégeront d’un mutant en est une autre. Et sur combien de temps s’étendra cette protection ?
Plus que toute autre qualité, la curiosité doit guider le médecin, estime-t-il. Si une personne mange de la terre, elle n’est pas forcément folle, même si elle ose elle-même à peine révéler cette curieuse pratique : c’est peut-être tout simplement le signe d’un important manque de fer. Le professeur cite le cas de ces spécialistes qui se trouvent soudain devant un phénomène totalement inconnu : « Il faut avoir du courage pour exprimer une forme de certitude à la face du monde, pour dire, j’ai découvert une maladie jamais vue avant, et savoir qu’on va se heurter d’abord à un mur ».
Un petit regain d’existence…
En oncologie, « vous pouvez, face à certaines mutations de la cellule tumorale, prédire qu’un traitement sera inefficace et n’apportera que des effets secondaires », précise-t-il. Là encore, le patient doit pouvoir décider de ce qu’il fait de l’information transmise dans une sorte de « partage de l’incertitude ». Même les soins palliatifs ne donnent pas forcément la personne pour morte. Il y a parfois de petits regains d’existence…
« La seule maladie sexuellement transmissible et 100% mortelle reste la vie », glisse le futur ex-doyen de la FBM. Jean-Daniel Tissot cite Montaigne librement : « Chaque pas conduit à la mort, le dernier y parvient ». Le plus important reste le chemin, comment on va y arriver : « C’est une question plus importante que la mort elle-même ».
La souffrance, voilà la grande question, et elle se décline de quatre façons : physique, psychique, sociale et spirituelle. Donner le bon – et souvent très coûteux – médicament à un malade c’est bien, mais si son frigo reste vide ? « Un système médical qui fonctionne bien doit au moins répondre à trois de ces quatre dimensions », conclut Jean-Daniel Tissot.
Olivier Garraud et Jean-Daniel Tissot
Il était une fois le sang
Éditions humenSciences – Humensis, 2021