 |
| Théodore Van Thulden, Les Travaux d'Ulysse. Paris, Pierre Mariette, 1633. Gravure à l'eau-forte. Planche 5. BnF, Estampes et photographie, SNR-3 Van Thulden |
Le voyage d'Ulysse (1)
Les Lotophages
Après le sac de Troie, Ulysse fait voile vers sa patrie, Ithaque. Mais le dieu Poséidon, qui règne sur la mer, le poursuit de sa colère. Lorsque Ulysse double le cap Malée, au sud du Péloponnèse et face à l'île de Cythère, le Borée, vent du nord, se met à souffler et détourne le héros de son itinéraire. Ulysse est emporté dans un monde de l'ailleurs, même si la mer demeure la même. Son errance sur la "mer poissonneuse", comme dit Homère, va durer dix ans, un voyage où les étapes sont nombreuses et où Ulysse, à chaque fois, est confronté à des êtres monstrueux ou séducteurs, qui ne sont ni vraiment sauvages ni tout à fait civilisés et qui obligent l'homme à s'interroger sur son statut. L'Odyssée est aussi l'aventure de l'homme confronté à sa propre identité.
La première étape d'Ulysse est au pays des Lotophages, mangeurs de fleurs. Ulysse raconte:
Voilà mes compagnons qui vont se mêler aux Lotophages. Ceux-ci ne trament rien de mal contre eux mais leur offrent à goûter du lôtos. Et dès que l'un d'eux goûte à ce fruit du lôtos aux saveurs de miel, il ne veut plus ni donner de nouvelles ni revenir mais rester là, avec les Lotophages, à se rassasier de lôtos en oubliant le retour. Je dus les ramener de force à nos vaisseaux bien taillés, tandis qu'ils pleuraient, et, en les tirant, les attacher sous les bancs. J'ordonnai au reste de mon fidèle équipage d'embarquer avec hâte sur les nefs rapides de peur qu'un autre, ne goûtant au lôtos, n'oubliât à son tour l'heure du retour. (trad. D. Bouvier)
Curieuse société que celle des Lotophages: voilà des hommes qui mangent une fleur qui fait tout oublier. On oublie les querelles, les soucis, les maux; point besoin de politique ni de lois. Les compagnons d'Ulysse qui ont goûté à ce fruit voudraient ne plus rentrer, oublieux de ceux qui les attendent. Mais Ulysse les oblige à revenir par la force. Il sait que l'oubli ne peut être un idéal en soi. Les Lotophages sont sans doute une société sans violence, sans classe sociale, mais quelle est l'identité de cette communauté où tous se ressemblent et où personne ne se soucie de l'autre? Ulysse est un héros de la mémoire, non de l'oubli.