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1694

[Anonyme], Scarron aparu à Madame de Maintenon et les reproches qu’il lui fait sur ses amours avec Louis le Grand

Cologne : J. Le Blanc, 1694

Carnaval à la Cour

Le roman est l’histoire d’une longue vision, celle de Scarron qui apparaît à Madame de Maintenon pour lui reprocher ses amours. Vers la fin du roman, des fêtes sont organisées à la Cour à l’occasion du Carnaval avec en particulier un magnifique spectacle théâtral, décrit dans les détails.

À l’après-dîner notre Monarque, pour se divertir fut avec la Marquise de Maintenon chez Monsieur le Duc d’Orléans où Monseigneur le Dauphin se trouva, le Duc de Chartre, la Duchesse de Nouaille, la duchesse de Portsmouth, et plusieurs autres dames et seigneurs, et comme l’on était au Carnaval l’on y joua tout le jour. Après le souper les masques y entrèrent pour danser, mais chacun se retira de bonne heure, remettant la partie à une autre fois, parce que l’on avait été à la comédie où l’on avait représenté toutes les divinités célestes, et champêtres avec leur équipage royal, et des machines extraordinaires qui avaient paru sur le théâtre.

La première décoration était une plaine environnée d’un nombre infini d’arbres, dont la verdure ne faisait que de naître, et rendait un ombrage charmant dans ce lieu solitaire. Voici les noms des dieux qui y paraissaient. Saturne ou le temps, avec sa mine affamée dévorant tout ce qui est au monde, même jusqu’aux pierres. Jupiter lançant des foudres, et tenant tout l’univers sous son obéissance. Le soleil environné de mille lumières, et des Oracles, était sur un char que les heures venaient conduire. Mercure Dieu de l’éloquence, ambassadeur et interprète de toutes les divinités, avec des ailes aux pieds et à la tête, une baguette en la main entrelacée de deux serpents, pour marquer la paix et la concorde. Bacchus sur un char triomphant tiré par des tigres couverts d’une peau de cerf, son sceptre orné de feuilles de lierre et de vigne. Mars Dieu de la guerre et des combats, armé de pied en cap, un casque en tête, tenant une lance d’une main, et de l’autre une pique. Neptune avec son trident avait pour char une grande coquille de Mer, où il était trainé par des baleines, et par des veaux-marins. Les Tritons demi hommes et demi dauphins l’accompagnaient sonnant de la trompette avec des écailles de poisson. Pluton avec son air infernal et sombre, marchait à la tête du vieux batelier Caron, qui recevait indifféremment dans sa barque toux ceux qui arrivaient de l’autre monde, il avait à côté de lui un horrible chien à trois têtes couvertes de serpents. Les Furies suivaient avec des flambeaux ardants, écumants de rage, les yeux étincelants ; au lieu de cheveux, elles n’étaient ornées que de vipères.
Le sommeil portant le repos favorable aux hommes suivi de Morphée l’un de ses officiers, Dieu des songes peignait tout sorte de figures.

Le théâtre changea de décoration, et représenta une belle prairie émaillée de mille et mille fleurs, où l’on voyait toutes les déesses. Cibèle, reine de la terre, assise et couronnée de villes, avec une multitude d’arbres et d’animaux, à l’entour d’elle Junon au milieu des royaumes, et des richesses, suivie d’Hébé déesse de la jeunesse qui verse toujours à Jupiter le nectar à boire.
Pallas toute armée, la lance à la main avec les beaux arts, et les sciences qui font ses ornements. Elle était suivie de Diane déesse des bois, et des chasseurs, portant un arc, et des flèches avec ses nymphes qui l’accompagnent partout. Vénus déesse des amours, et des voluptés avec une incomparable beauté, était tirée dans un char par des cygnes, et par des colombes, suivie des trois grâces, ses filles. Après venait l’Aurore toute riante sur un char doré, avec ses doigts de rose pour annoncer la venue du soleil, elle était suivie de la Fortune aveugle tenant en sa puissance les honneurs et les richesses, maniant une roue qu’elle tourne incessamment.
Flore était au milieu d’un beau jardin produisant mille fleurs, caressée par les Zéphyrs qui ne l’abandonnent jamais, avec Proserpine, et ses autres nymphes qui sont toujours occupées à cueillir des fleurettes. La troisième décoration représentait le Mont Hélicon, le Parnasse et les fontaines d’Hipocraine et d’Aganipides consacrées aux Muses. Apollon prédisait au milieu de ce beau séjour composant des airs de musique et plusieurs vers.
Au dessous de la montagne, Pan, Dieu des bergers avec sa barbe et ses pieds de bouc, des cornes en tête, jouait de la flute douce. Les faunes et les satyres, avec leurs pieds de chèvre dansaient des menuets avec les nymphes voisines. Cupidon, dieu de l’amour volait agréablement par-dessus cette illustre assemblée battant de ses ailes avec une douceur et un plaisir extrême, et regardait malicieusement dans son carquois toutes ses flèches à dessein de blesser quelques uns des héros ou des héroïnes. Il jugea à propos de frapper Jupiter comme le plus sensible, et le fit métamorphoser en toutes sortes de formes, prenant la figure d’un taureau enlevant Europe sur son dos, et passant la mer. Tantôt en pluie d’or, descendant dans une tour d’airain, pour en conter à la belle Danaé. Une autre fois en aigle pour ravir le jeune Ganymède, prenant toutes les figures convenables à ses galanteries. […] Mais il faut laisser ces pensées, et revenir à notre pièce de théâtre qui avait été faite exprès, et commandée de représenter aux comédiens du roi par Monsieur le Dauphin, dans la vue de faire diversion à plusieurs chagrins, où tombe ce monarque bien des fois le jour, au sujet de la France, qui parait désolée de tous côtés, et crie qu’elle n’en peut plus si le ciel ne la favorise d’un de ses regards.

       

Roman consultable à Tolbiac (BNF), p. 109-114.


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