Par support > Traités, épîtres, pamphlets, défenses, … > Panégyrique de l'Ecole des femmes

 

1663

Charles Robinet, Panégyrique de l'Ecole des femmes

Paris, Sercy, 1663

Un laquais précieux

Le Panégyrique de l'Ecole des femmes est une conversation comique entre plusieurs personnes de qualité sur l'actualité littéraire. Au début de la conversation, l'un des laquais affecte un langage, qualifié de précieux, appris dans la fameuse pièce de Molière pour parler à sa maitresse :

LE LAQUAIS
faisant le spirituel.
Madame, si j’osais parler pour ces pauvres muets, je vous dirais qu’ils vous tendaient les bras par pitié, de vous voir en cet état de violence : et qu’ils semblaient se plaindre de l’inexorabilité que vous leur témoignez.

LIDAMON
Hay, hay, hay, n’ai-je pas là un drôle de laquais ?

BÉLISE
Où l’avez-vous pêché ? Ne l’avez-vous point eu de quelque précieuse ? Car il me semble qu’il veut jargonner comme elles.

CÉLANTE
Sans doute, il en a servi quelqu’une.

PALAMÈDE
Bon, ce n’est pas cela, je parie que c’est qu’il a lu Les Précieuses ridicules.

BÉLISE
Vous avez raison, il y a quelque chose, en cette comédie, du galimatias qu’il nous a fait.

LIDAMON
Hay, hay, hay, est-il vrai que tu as lu Les Précieuses ridicules ?

LE LAQUAIS
Et pourquoi non, n’est-ce pas un livre ouvert à tout le monde ? Mais pourtant je n’ai pas dit les choses comme elles y sont, mot pour mot : j’y en ai changé quelques-unes et ajouté d’autres pour enchérir sur l’auteur, et rendre cet endroit encor plus joli. Au reste, je ne sais pas si ce langage vous déplaît, mais je vous dirai que je le trouve à présent fort mêlé dans celui des mieux disants, et qu’il vous en est bien échappé des termes, depuis que je vous écoute ici attentivement, car je suis ravi de m’instruire en si bonne école.

LIDAMON
Il est, par ma foi, bon là. Voilà l’auteur des Précieuses ridicules corrigé par mon laquais ! Mon laquais enchérit sur Zoïle et croit tourner les choses mieux que lui !

PALAMÈDE
Comment, diable ? Il l’entend, et je suis d’avis que vous l’envoyiez à cet auteur, pour repasser le pinceau sur tous ces ouvrages : il pourra les rendre plus beaux de moitié.

BÉLISE
Je suis d’avis qu’on l’envoie aussi à toutes les précieuses que nous connaissons, pour nous venger de lui et d’elles de nous avoir infectés de leur maudite façon de parler ; car on ne saurait si bien s’en défendre qu’en effet il ne vous en échappe toujours quelque terme qui gâte la pureté du beau langage.

CÉLANTE
On avait cru cet idiome précieux entièrement détruit. Mais il est plus en règne que jamais. Vous voyez comme Zoïle l’a remis sur le théâtre, dans sa Critique, où ceux mêmes qui font semblant de le condamner le parlent autant que les autres ; et je vous assure que la plupart des femmes prennent plaisir à lui redonner la vogue.

Texte disponible sur Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »