« Radio killed the newspaper stars »

Ce refrain travesti du groupe The Buggles pourrait s’appliquer aux relations entre la presse écrite et la radio suisse au cours de la première moitié du XXe siècle. En effet, dès l’apparition de la TSF, les milieux de la presse écrite mettent tout en œuvre pour limiter l’information à la radio par crainte de la concurrence qu’elle représente. Toutefois, le contexte tendu lié à la Seconde Guerre mondiale bouleverse progressivement ce rapport de force.

M. Werner Kämpfen, speaker de langue allemande pour l'Agence télégraphique suisse (photo non datée). © PHOTOPRESS-ARCHIV STR / Keystone
M. Werner Kämpfen, speaker de langue allemande pour l’Agence télégraphique suisse (photo non datée). © PHOTOPRESS-ARCHIV STR / Keystone

Dès la création de la Société suisse de radiodiffusion (SSR) en 1931, la presse écrite et les autorités fédérales chargent l’Agence télégraphique suisse (ATS), propriété des éditeurs de journaux, de la rédaction et de la lecture des informations à la radio. L’ATS émet des bulletins d’informations quotidiens, brefs (10 à 15 minutes) et factuels, pensés comme une offre complémentaire à celle des journaux. Le but de l’Agence est de réduire au maximum la portée et le contenu de ces bulletins. Les journaux cherchent à conserver la mainmise sur l’information et à cantonner la radio au divertissement. Cette répartition des tâches suscite des tensions avec la SSR qui demande régulièrement une plus grande autonomie en matière d’information et une augmentation du nombre de bulletins : elle n’obtiendra satisfaction qu’en 1939 avec le passage de 2 à 4 «flashs» quotidiens. Mais la SSR continue à dénoncer la mauvaise qualité de l’information délivrée qui aurait tendance à pousser les auditeurs suisses à se tourner vers des radios étrangères.

Quand les Chroniques du jour entrent dans l’équation

En plus de la retransmission des bulletins ATS, le Service suisse des ondes courtes (SOC) diffuse régulièrement, dès 1939, de courts résumés d’informations de son propre cru. Se composant de réflexions générales, centrées sur la politique intérieure, ils ne font pas concurrence aux journaux. Mais, dès juillet 1940, si l’on en croit la base de données mise à notre disposition, ces bulletins prennent une nouvelle forme. Intitulés « Revue du jour» ou « Chronique du jour », ils fournissent désormais des informations quotidiennes selon un mode qui se rapproche des bulletins ATS. De plus, les chroniqueurs du SOC, habitués au style radiophonique, les rédigent et les lisent eux-mêmes. Cette autonomie contrevient au modus vivendi élaboré antérieurement avec la presse qui perçoit cette nouveauté comme une trahison.

L’apogée du conflit

Une séance de la Commission presse-radio du 24 septembre 1940 met en exergue cette tension. Les journaux sont représentés par l’Association des éditeurs de journaux (Karl Sartorius) et l’Association de la presse suisse (Jean Rubattel). Le président de l’ATS (Rudolf Lüdi) est également présent. Ensemble, ils s’allient pour conserver le monopole de l’Agence sur l’information: son statut officiel constituerait une forme de caution quant à la crédibilité de l’information délivrée. La question d’une concurrence potentielle des chroniques du SOC est également soulevée lorsqu’il est fait état de la possibilité de les écouter en Suisse par le biais de la télédiffusion. Rubattel parle même d’un 5e service d’information qui entrerait directement en concurrence avec les bulletins de l’ATS. Les milieux de la presse proposent que l’ATS se charge de l’élaboration et de la diffusion de ces chroniques. Ils craignent en effet de créer un précédent sur lequel les studios de la SSR pourraient s’appuyer pour élaborer leur propre service d’information.

Pour les représentants de la radio (Alfred W. Glogg, directeur de la SSR, Paul Borsinger, directeur du SOC, et Riccardo Rossi, membre du Comité central de la SSR) et des PTT (Alois Muri), le SOC serait un organe plus compétent que l’ATS dans ce domaine, car il connaît les besoins spécifiques de la radio et des Suisses de l’étranger. En outre, des bulletins plus orientés sur l’information internationale leur semblent adéquats. En se présentant comme un organe principalement destiné à la Cinquième Suisse, le SOC réfute l’argument de la concurrence: le public visé n’est pas le même. La radio internationale suisse tient désormais, selon eux, un rôle essentiel au sein de la politique fédérale. En diffusant ses émissions à destination à l’étranger, elle se fait en quelque sorte l’ambassadrice de la Suisse. Par ce statut, le SOC justifierait donc une exception.

Les autorités fédérales essayent de concilier les particularités du SOC et les intérêts de la presse. Par souci de consensus, elles proposent que l’ATS demeure la source d’information principale, mais elles permettent au SOC de conserver la rédaction et la lecture des chroniques à l’antenne, une proposition refusée par les journaux, mais qui deviendra la règle dès le début de l’année 1941. Ainsi, les objectifs particuliers poursuivis par le Service suisse des ondes courtes ont permis d’ouvrir une brèche.

Ivan Campari et Julien Longchamp

Bibliographie

Drack Markus T. (dir.), La radio et la télévision en Suisse: histoire de la Société suisse de radiodiffusion SSR jusqu’en 1958, Baden: Hier + Jetzt Verlag für Kultur und Geschichte, 2000.

Tous les textes du séminaire

Annexes

1) Procès-verbal de la séance de la Commission presse-radio du 24 septembre 1940 [en pdf] qui donne lieu à un débat entre les représentants de la presse et du secteur radiophonique.

Archives du Service suisse des ondes courtes, SOC A 35-001, «Sitzung der Kommission für den Nachrichtendienst im schweizerischen Rundspruch», 24.09.1940.

2) Exemple d’un bulletin de l’ATS du 9 avril 1940 qui permet de constater les similitudes avec les Chroniques du jour proposées par le SOC.

Détraz Christine, Le pain de la veille [Ensemble multi-supports]: aspects de la vie quotidienne en Suisse romande durant la guerre 1939-1945, Lausanne: LEP Loisirs et pédagogie et Radio suisse romande, 1994. © RTS Radio Télévision Suisse