Les chroniques au coeur de la programmation du Service suisse des ondes courtes

A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, la Suisse multilingue ressent le besoin de protéger son identité en renforçant les valeurs qui lui sont propres face à la montée en puissance des pays environnants. Parmi les différentes mesures visant à la « défense spirituelle » du pays, la radio, et plus particulièrement le Service suisse des ondes courtes (SOC), occupent une place de choix. Quelles sont les spécificités du SOC et les atouts qu’il représente dans le cadre de la défense nationale spirituelle?

Les installations de Schwarzenbourg vue du sud-ouest (photo non datée). © swissinfo
Les installations de Schwarzenbourg vue du sud-ouest (photo non datée). © swissinfo.ch

Dans le contexte politique des années 1930, la radio, devenant un média de masse, est utilisée par de nombreux pays comme outil de propagande. La Suisse n’est pas en reste. Comme l’atteste son Message concernant « les moyens de maintenir et de faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération » du 9 décembre 1938, le Conseil fédéral veut mettre en place plusieurs mesures visant au développement de la radiophonie sur le plan international, notamment par le biais des ondes courtes, qui sont alors une technologie nouvellement exploitée, permettant d’atteindre des contrées lointaines.

Ces mesures se traduisent d’abord par une amélioration technique, avec la construction d’un émetteur national à ondes courtes à Schwarzenbourg, et la création officielle d’un Service ad hoc pour gérer spécifiquement sa programmation. S’ensuit alors une augmentation considérable du nombre d’émissions diffusées à destination de l’étranger. Dès 1941, les émissions pour l’Amérique du Nord et du Sud deviennent quotidiennes. Quant au contenu, une mise en parallèle avec la programmation d’un studio régional comme celui de Sottens permet d’en saisir la spécificité. De cette comparaison ressort en premier lieu la place essentielle accordée aux émissions parlées par rapport aux émissions musicales, contrairement à la programmation proposée par Sottens. Plus que divertir, les émissions du SOC doivent avant tout informer et donner de la Suisse une image culturellement valorisante.

Les chroniques, une spécificité du SOC

Une des marques de fabrique du SOC est la prédominance de l’information dans sa grille des programmes. Ces émissions prennent pour la plupart la forme de chroniques. Si certaines sont de simples reprises des studios régionaux, d’autres, comme les Chroniques du jour et les Chroniques politiques et culturelles, sont des productions propres du SOC. Les premières rappellent les faits principaux de la politique internationale, puis nationale. Leur importance est déterminante dans la mesure où elles représentent, notamment pour les auditeurs d’outre-mer, une prise directe avec l’actualité dans une période où il est difficile, voire impossible, d’accéder à la presse helvétique. Les secondes sont dévolues aux grandes questions qui touchent plus particulièrement la politique intérieure comme la censure, la politique d’asile, la démocratie.

Des émissions en 6 langues

Pour passer outre les barrières linguistiques, et ainsi toucher un public plus large, le SOC développe ses chroniques en six langues. Les trois régions linguistiques suisses sont représentées avec l’utilisation de l’allemand, du français et de l’italien. En tant que langues nationales majoritaires, l’allemand et le français sont prédominants et visent principalement un public composé de Suisses résidant hors du pays. Il est à noter que les nouvelles germanophones sont au départ données en dialecte suisse allemand. Toutefois, son utilisation va progressivement être abandonnée au profit de l’allemand standard, certainement pour toucher un auditoire plus vaste. Quant à la catégorie des langues étrangères, elle comporte l’anglais, l’espagnol et le portugais. Cette dernière langue, la seule à ne pas apparaître dans les chroniques référencées dans la base de données mise à notre disposition, sera adoptée vraisemblablement dès 1941 dans les programmes à destination de l’Amérique du Sud. L’usage de ces six langues permet d’étendre la voix de la Suisse à de nombreux pays et de toucher un public qui dépasse celui des Suisses de l’étranger, suivant ainsi les vœux des autorités fédérales émis dès 1938. Les chroniques sont produites dans ce but et constituent, en particulier pour les pays d’outre-mer, le cœur de la programmation sur ondes courtes. La régularité avec laquelle elles sont retransmises et leur fort développement d’après-guerre en font la particularité et le pilier de la programmation du SOC. En promouvant les valeurs suisses à l’étranger par le biais de ces émissions, cette radio internationale se met au service du Conseil fédéral pour jouer un rôle indiscutable en faveur de la défense spirituelle.

Elise Forestier et Sylvain Amos

Bibliographie

Eck Helène (dir.), La guerre des ondes. Histoire des radios de langue française pendant la Deuxième Guerre mondiale, Paris: A. Colin ; Lausanne: Ed. Payot, 1985.

Reymond Marc, « La radio sous le signe de la Défense spirituelle, 1937-1942 », in Drack Markus T. (dir.), La radio et la télévision en Suisse: histoire de la Société Suisse de radiodiffusion SSR jusqu’en 1959, Baden: Hier+Jetzt, 2000, pp. 93-114.

Tous les textes du séminaire

Annexes

1) Extrait audio de la dernière partie de la Chronique du jour du 2 mai 1945, la seule version radiophonique qu’il nous reste.

Le tapuscrit de ce bulletin: la Chronique du jour du 2 mai 1945.

2) Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération (Du 9 décembre 1938). Extraits choisis [en pdf].

Le Conseil fédéral relève dans ce Message les mesures effectives prises dans le cadre de la défense spirituelle du pays et celles qu’il reste à prendre. Il met en avant les progrès à accomplir dans le domaine radiophonique, notamment en ce qui concerne les ondes courtes. Il est intéressant de noter l’importance donnée au média radiophonique dans la préservation du sentiment d’identité nationale, ainsi que le projet de mettre en place une véritable propagande culturelle suisse.

Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant les moyens de maintenir et de faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération (Du 9 décembre 1938), Feuille fédérale, Vol. 2, Cahier 50, 14.12.1938, pp. 1001-1043.