Chargé de cours à la Faculté des SSP et au Collège des humanités de l’EPFL, Alexandre Camus a fait sa thèse sur la numérisation des archives du Montreux Jazz Festival (MJF). Ce dernier collabore depuis 2014 avec l’EPFL, qui a créé le Centre d’innovation dans les patrimoines culturels, inventeur de nouveaux modes de stockage, d’écoute et de diffusion de la culture, dont le trésor musical du MJF.
« La question de l’appropriation du potentiel numérique par le secteur culturel remonte déjà à plusieurs années, mais a été fortement accélérée par la crise COVID-19, qui a fait naître de nombreuses initiatives pour garder malgré tout un lien avec le public », esquisse le chercheur. Le phénomène sera-t-il durable, la culture à distance viendra-t-elle doubler les événements en présence, ou en donner une version augmentée et offrir davantage d’interactions avec le public, et à quel prix (économique et écologique) ? Comment favoriser la créativité en contexte hybride ?
Ces questions (et bien d’autres) furent abordées dans le Programme Innovations Culturelles UNIL-EPFL (PIC), un Open Lab dont la première phase (été 2020 avec un échange qui s’est poursuivi à l’automne) a rassemblé une soixantaine d’acteurs de la culture romande ainsi que plusieurs chercheurs dont, en SSP et à l’EPFL Dominique Vinck, Olivier Glassey et Alexandre Camus. Tous trois sont impliqués dans le PIC pour favoriser la résilience du secteur culturel. Dans l’immédiat, Alexandre Camus craint un douloureux embouteillage de l’offre culturelle dans la période de reprise qui s’ouvre…
L’EPFL et l’UNIL impliqués
Les acteurs concernés ont joint leurs réflexions multiples lors d’une session co-modale à la Grange de Dorigny, relate le chercheur, qui signale aussi une synthèse écrite à l’enseigne du PIC pour résumer les enjeux soulevés et les pistes d’avenir. La culture confrontée à de nouvelles incertitudes (la pandémie mais aussi la volonté de toucher des publics moins accessibles et de se renouveler, tout simplement) sollicite les scientifiques dans un processus collaboratif qui « nous fait avancer ensemble », précise Alexandre Camus. A titre d’exemple, il cite le musée de Pully qui prépare pour l’automne 2022 une exposition autour du photographe suisse Matthieu Gafsou, qu’il sera loisible de visiter sur place et via une plateforme numérique proposant un contenu augmenté,
Le chercheur estime que ce dossier du numérique dans la culture est « un chantier ouvert pour des décennies ». Cela soulève d’innombrables questions, dont celle des publics, que les institutions culturelles aiment connaître, solliciter et maîtriser via des habitudes que l’on ne retrouve plus avec la consommation en ligne. Comment accompagner la transition numérique des grands événements, ne serait-ce que sur le plan de la valeur économique ? « Il y a un vrai besoin de connaissances sur les usages numériques des publics de la culture, une question intéressante pour une faculté de sciences sociales et politiques », souligne Alexandre Camus, qui suggère les « impasses potentielles de ce mode de consommation » friand de nos données personnelles et encore balbutiant en matière d’échanges avec les acteurs du spectacle vivant et les autres spectateurs. « Les jeux vidéo ont de l’avance sur ce plan, mais il est encore difficile d’imaginer pour la culture à distance une analogie avec l’expérience sociale et culturelle en salle », relève le chercheur.
Il questionne aussi l’empreinte carbone du numérique, plutôt insaisissable : « Nul ne sait si cette nouvelle forme de consommation culturelle survivra au-delà d’un siècle ou deux, mais nous sommes en plein dedans », conclut-il. D’où l’utilité de ce partenariat culture, science et cité pour réfléchir à ce grand bouleversement par-delà les ressources individuelles de chacun. Une association est en voie de constitution avec les partenaires culturels et politiques (festivals, théâtres, musées, Villes et Canton) et les scientifiques impliqués, à savoir le Centre d’innovation dans les patrimoines culturels EPFL (co-financeur), le Collège des humanités de l’EPFL (co-financeur), le dhCenter UNIL-EPFL (co-financeur qui héberge la démarche), la Vice-présidence Innovation EPFL, le ColLaboratoire de l’UNIL, le Service culture et médiation scientifique de l’UNIL et le HUB UNIL Entrepreneuriat et innovation.
Cette riche collaboration fait partie d’une série de projets développés en Faculté des SSP afin de promouvoir l’interdisciplinarité et de soutenir la recherche en prise avec un environnement incertain.