Gérer l’incertitude dans les affaires judiciaires

Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique

Des avocats soucieux du sort d’un condamné qu’ils estiment innocent – et qui se trouve parfois emprisonné depuis longtemps – s’adressent à des spécialistes de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique pour obtenir un rapport sur des expertises éventuellement incomplètes en regard, par exemple, d’un progrès technologique. Entre 2018 et 2020, la Faculté a financé un projet dirigé par les professeurs Laurent Moreillon, Christophe Champod et Franco Taroni pour répondre à la sollicitation des organisations internationales telles le Innocent Project New York et le Appeal en Angleterre sur des dossiers criminels.

« Dans l’un des cas, une grave affaire d’agression sexuelle, nous avons pu suggérer des pistes d’analyses nouvelles qui ensuite ont mis en évidence de l’ADN d’une tierce personne inconnue pouvant éventuellement exonérer le condamné Andrew Malkinson », esquisse Franco Taroni. La confidentialité ne lui permet pas de décrire ces affaires de manière trop précise. Dans un autre cas, un condamné sera rejugé prochainement après que les experts de l’UNIL sont allés présenter au tribunal en Belgique des arguments invitant à une prudence quant à la signification de certains indices scientifiques avancés. Les premiers experts entendus indiquaient pouvoir dater précisément les traces collectées, alors qu’une telle méthode de datation n’est actuellement pas validée.

Fabrice Ducrest © UNIL

Les experts et les juges doivent aujourd’hui gérer l’incertitude afin d’établir la valeur probante d’indices scientifiques et la crédibilité des hypothèses d’intérêt, telle la culpabilité ou l’innocence du prévenu. Cette tâche, de plus en plus complexe, peut être sujette à des erreurs…

Franco Taroni
Professeur ordinaire à l’Ecole des sciences criminelles

« Les experts et les juges doivent aujourd’hui gérer l’incertitude afin d’établir la valeur probante d’indices scientifiques et la crédibilité des hypothèses d’intérêt, telle la culpabilité ou l’innocence du prévenu. Cette tâche, de plus en plus complexe, peut être sujette à des erreurs comme dans les cas que nous avons supervisés. Cela illustre la nécessité de formuler des conclusions sur la base de procédures bien définies et au besoin de recourir à des spécialistes », résume Franco Taroni.

Étudiants impliqués de façon interdisciplinaire

Ce projet a été mis à la portée d’un groupe restreint d’étudiantes et d’étudiants, les uns en droit et les autres en sciences forensiques, qui ont pu se plonger ensemble, et encadrés par les trois professeurs, dans ces dossiers bien réels issus de divers systèmes judiciaires et y chercher matière à interroger les conclusions d’experts, voire à reconsidérer ces affaires sous un autre angle, sur la base d’analyses techniques inédites ou d’une nouvelle évaluation des indices scientifiques.

Ce travail de consulting, idéalement appelé à se reproduire, parachève dix années d’un cours en e-learning autofinancé (Formation continue UNIL-EPFL), destiné à des scientifiques des laboratoires forensiques du monde entier sur la gestion de l’incertitude qui entoure tout résultat d’analyse qui se doit d’être évalué sous les hypothèses d’intérêt pour le tribunal. Une expérience d’enseignement qui a également donné lieu à un MOOC bilingue (Massive Open Online Course), financé en 2018 par la Direction de l’UNIL et donné par une équipe de chercheurs de l’École des sciences criminelles (ESC).

Ce cours destiné au grand public se nourrit d’exemples réels et alerte scientifiques et juristes sur la possibilité de l’erreur judiciaire en lien avec des fautes commises lors d’expertises forensiques, souvent en raison d’une interprétation abusive des résultats. Ce MOOC est accessible gratuitement pour tout public.