Informations méthodologiques

Les points développés ici sont des éléments méthodologiques ponctuels permettant à l’utilisateur de ce site de comprendre les données fournies en fonction des buts poursuivis dans l’établissement du corpus. La forme des entretiens filmés et la nature des informations qu’ils présentent sont déterminées par la méthode que nous avons suivie et la finalité première qui a guidé le travail. En effet, une archive orale entièrement constituée dans un projet historique tel que celui-ci diffère de documents « trouvés », traces du passé, en ce sens que cette archive programme et formate par la méthode adoptée les informations rassemblées. Elle nécessite un traitement spécifique de la part de l’historien. L’archive elle-même, ici la base de données et le site qui l’accompagne, est en soi une construction historique a posteriori. D’où l’importance à nos yeux de livrer ces informations aux visiteurs, utilisateurs, spectateurs qui souhaitent en savoir plus sur le dispositif de constitution de cette source.

Contexte et finalités
Choix des témoins : principes méthodologiques
Méthode d’entretien
Guide d’entretien
Construction d’une base de données : principes méthodologiques

Contexte et finalités

Cinémémoire.ch part des deux constats suivants sur l’historiographie du cinéma suisse dans la deuxième partie du XXe siècle : d’une part l’intérêt des chercheurs dans ce domaine s’est porté avant tout sur des cinéastes majeurs, des longs métrages de fiction et des documentaires marquants, bien que, dans le domaine du cinéma suisse, cette historiographie soit elle-même très lacunaire. D’autre part, l’écriture d’une histoire de la production cinématographique helvétique impliquant des facteurs sociaux, économiques et politiques reste à élaborer. Le projet spécifique Cinémémoire.ch : La production en Suisse romande à l’époque du « nouveau cinéma » (années 1960-70), télévision et réseaux veut participer à documenter ce domaine de l’histoire suisse.

Le cinéma suisse, et tout particulièrement le cinéma romand, connaît une diversité de modes de production, de modes d’existence des cinéastes et des techniciens du cinéma, caractéristique d’une nation sans véritable industrie cinématographique – industrie dont l’histoire interne et les archives institutionnelles pourraient informer le fonctionnement du système de production. Le cinéma romand à l’époque qui nous concerne ici est un cinéma de personnes et de réseaux, où le producteur et le cinéaste se confondent, où les petites sociétés créées pour un projet durent le temps de fabrication d’un film ou deux. Si la Télévision joue un rôle essentiel, tout un réseau de production peu visible, artisanal et collaboratif s’est constitué, que ce soit en vue de la réalisation de fictions ou de documentaires, dont le film de commande n’est pas le moindre. Les archives sont alors en grande partie des archives privées, d’individus, de passionnés, ancrés dans un réseau socio-économique. Dans ce contexte, le témoignage oral est particulièrement enrichissant, dans la mesure où il se voit traité et mis à l’épreuve par l’historien.

L’ouvrage en deux tomes, Histoire du cinéma suisse, 1966-2000 paru en 2007 sous la direction d’Hervé Dumont (Cinémathèque Suisse) et Maria Tortajada (Section d’Histoire et esthétique du cinéma, Université de Lausanne) réunit une première somme d’informations fondamentales pour ce domaine d’étude. Cette recherche a montré à quel point les données fournies par les cinéastes, producteurs, acteurs, etc., étaient indispensables pour compléter les archives papier et film utilisées en vue de la constitution d’un savoir sur l’histoire du cinéma suisse.

Pour ces raisons, il nous a paru essentiel de recueillir au plus vite les expériences des témoins encore vivants concernant la production cinématographique des années soixante et soixante-dix, et de les rendre accessibles au plus grand nombre. Ce type de source permet en effet d’obtenir des informations inédites sur le fonctionnement du milieu qui nous intéresse, tels que les conditions concrètes de production et de réalisation des films, les compétences mises en œuvre, les influences subies ou recherchées, les rapports de concurrence, les alliances nouées ou encore les itinéraires individuels de ceux qui ont fait ce cinéma.

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Choix des témoins : principes méthodologiques

La spécificité de notre démarche est de créer une archive construite sur la base de présupposés historiques et méthodologiques qui mènent à un résultat élaboré utile à des historiens. Il ne s’agit pas d’obtenir une collection d’entretiens séparés les uns des autres, mais de constituer une « archive systématique et raisonnée » composée d’une série d’entretiens qui se répondent et se complètent, afin de dégager non seulement des « parcours » individuels, mais surtout des réseaux de personnes et d’institutions, des fonctionnements sociaux et économiques, comme des pratiques professionnelles récurrentes.

Nous avons adapté les méthodes de l’histoire orale à notre objet d’étude. Les témoins ne sont pas abordés avec la priorité de construire une « histoire de vie », à savoir leur biographie, mais bien dans le but de saisir, à partir de leur expérience particulière, leur rapport au champ cinématographique, ce qui permet de reconstituer différentes facettes de ce dernier. En somme, il s’agit de partir du singulier, des individus, pour mieux permettre de comprendre le fonctionnement socio-culturel du champ « cinéma suisse ».

Les témoins ont été choisis selon deux logiques. La première explore un milieu. Le milieu est souvent lié à une institution (par exemple la Télévision des années soixante et soixante-dix, les collectifs et autres modes de production du « nouveau cinéma » (Milos Films, Nemo Films, le Groupe 5, etc.), les entreprises techniques (laboratoires, studios, etc.), les festivals suisses (Locarno, Soleure, Nyon), la presse ou les revues de cinéma, ou encore la Commission fédérale du cinéma). Ces milieux ne se limitent pas à une institution, mais intègrent tous les acteurs sociaux qui interfèrent avec elle. Ils apparaissent et se dessinent alors à partir des liens qui se constituent autour de pratiques communes à plusieurs acteurs.

Parmi la multiplicité des milieux à explorer, nous avons choisi d’en privilégier deux : l’un gravite autour de la Télévision Suisse Romande ; l’autre est constitué des différents réseaux de production extérieurs à celle-ci. La TSR a en effet joué un rôle déterminant dans l’émergence du « nouveau cinéma suisse », ne serait-ce qu’en permettant au Groupe 5 de se constituer. Elle a en somme joué un rôle de producteur essentiel à l’époque, très différent de celui qu’elle assume aujourd’hui dans les systèmes de coproduction. A côté de la TSR, la Suisse romande ne cesse de voir émerger, dans la période de transition qui nous intéresse, de toutes petites maisons de production, très artisanales, parfois associées à un seul cinéaste ou même à un seul film. D’autres parviennent à se développer et à ouvrir une succursale en France par exemple. C’est ce phénomène très spécifique qu’il est important d’étudier dans son émergence précaire, car il détermine les modalités du champ cinématographique suisse romand. Les témoins ont donc été choisis en fonction de leur activité, ponctuelle ou prolongée, à la TSR ou dans les réseaux de productions parallèles, et ce, à tous les échelons de la hiérarchie (directeur, producteur, réalisateur, chef opérateur, script, monteur, etc.).

La deuxième logique directrice pour le choix des témoins tient au parcours singulier de personnes reconnues de l’histoire du cinéma, en tant qu’elles jouent un rôle qui, à certains égards, dépasse leur propre notoriété. Le terme de parcours ne renvoie pas à la biographie du témoin racontée chronologiquement, mais à des moments-clés de son expérience, qui permettent de dégager des éléments essentiels pour reconstituer des pratiques, des réseaux de relations, etc. Tel auteur, par exemple, ne sera pas visé en tant que tel uniquement, mais en tant qu’il interagit dans le milieu cinématographique avec d’autres personnes, avec des institutions, qu’il rencontre des difficultés spécifiques au monde cinématographique, etc. Une telle approche doit alors ajouter à son témoignage celui d’autres personnes, souvent moins connues ou que l’histoire du cinéma suisse n’a pas retenues, mais dont le regard et l’expérience peuvent s’avérer extrêmement éclairants.

La collecte de témoignages ne s’impose donc pas seulement dans le cas de personnalités et de leur parcours, mais aussi dans celui d’agents qui sont choisis en fonction de leur collaboration ponctuelle au sein d’une institution, d’une compagnie, d’un collectif ou encore d’une revue.

 

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Méthode d’entretien

Chaque entretien a été préalablement préparé par un travail de « réseautage », c’est-à-dire des entretiens informels avec des personnes susceptibles de nous livrer des informations sur les témoins et de nous diriger vers d’éventuels nouveaux témoins complémentaires. Cette récolte d’informations impose une approche personnalisée du guide d’entretien.

Lors des entretiens, la nature de l’information recherchée est très concrète. Ce qui compte, c’est d’amener les personnes interrogées à parler de leur expérience singulière, constituée de cas, d’anecdotes, de situations, de récits. Il ne s’agit donc pas de confronter les témoins aux grands thèmes de l’histoire du cinéma mais d’évoquer les « petites histoires » qui sont susceptibles de fournir au chercheur des éléments pertinents pour établir des articulations nouvelles dans les thèmes de l’histoire du cinéma suisse, soit la base de nouvelles connaissances.

La méthode choisie est celle de l’entretien semi-directif, qui permet de croiser les témoignages entre eux et de s’assurer de leur fiabilité (un certain nombre de thèmes ont été abordés avec chaque témoin). Cette option conduit à un entretien qui comporte des questions à variables explicatives, souvent de nature biographique, visant à définir l’identité des témoins et des questions à variables dépendantes visant à explorer le thème de la recherche. L’entretien semi-directif implique une démarche participative de la part des interlocuteurs ainsi qu’une part d’improvisation.

Les entretiens se sont déroulés chez les témoins eux-mêmes ou dans un lieu emblématique et ont été filmés en format professionnel (HDV). Le choix de filmer les entretiens,  plutôt que d’effectuer un enregistrement audio, a été motivé par la volonté de capter toutes les subtilités liées au témoignage oral. En effet, cela permet de recueillir non seulement la totalité des informations de contenu, la voix du témoin, son élocution, toutes traces de son ancrage culturel, mais encore sa posture, son langage corporel, ses « mimiques » et ses expressions. De plus, il a été ainsi possible de garder une trace des documents ou des lieux que le témoin nous a fait partager lors de l’entretien. Le filmage de chaque entretien a été assuré par un chef opérateur professionnel, soit Séverine Barde, soit Pascal Montjovent, qui ont travaillé en alternance et qui ont participé activement à la tenue des entretiens.

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Guide d’entretien

La constitution d’une liste de questions précises et « prêtes à l’emploi » pour l’ensemble des entretiens prévus est incompatible avec la démarche d’historien oraliste que ce projet applique. En effet, ce type de démarche suppose un véritable échange entre deux protagonistes et donc une certaine spontanéité. De plus, les activités et rôles variés des témoins ne donnent pas la possibilité de poser les mêmes questions à l’ensemble d’entre eux. C’est pourquoi nous n’avons défini en guise de guide d’entretien que des lignes directrices.

Par contre, afin de permettre une analyse comparative des données, un certain nombre de thèmes ou champs d’investigations ont été abordés avec tous les témoins. Ces thèmes tendent tous à retracer les conditions concrètes de réalisation (ou de non-réalisation) des différents projets que les témoins ont entrepris au cours de leur carrière, c’est-à-dire en somme à comprendre les enjeux et le fonctionnement socio-économiques de la production cinématographique suisse de la période qui nous intéresse. Ils peuvent être énoncés de la manière suivante :

  • Origine socio-culturelle du témoin :

En début d’entretien, nous demandons au témoin de nous parler de son milieu d’origine, de la formation qu’il a suivie et de son début d’activité dans le cinéma.

  • Historiques de production :
    • Rencontres, collaborations et réseaux d’amitiés (liens tissés et liens souhaités)
    • Structure de production
    • Accès au financement et connaissance des procédés de financement
    • Conditions de travail
    • Effort de diffusion et participation à la diffusion
    • Réception critique et publique des films (accueil et reconnaissance), implication du témoin dans ce domaine

Nous demandons au témoin de nous parler des différents projets qu’il a entrepris ou auxquels il a participé de manière très concrète, en abordant les différents aspects mentionnés ci-dessus. Nous reconstituons ainsi des historiques de production, au sens large du terme, tels que vus par le témoin.

  • Contexte social, politique et culturel :

Nous demandons également au témoin de nous parler du contexte social, culturel et politique dans lequel il évoluait à l’époque et de ses répercussions positives et négatives sur le fait de « faire du cinéma » en Suisse romande ou de travailler dans le milieu du cinéma romand.

  • Evaluation par le témoin de sa place dans le champ du cinéma suisse :

Lorsque cela paraît pertinent, nous demandons au témoin quelle place il pense avoir occupée dans le milieu du cinéma suisse ou quelle place il aurait souhaité occuper. Sa réponse peut informer l’historien sur l’image que se fait le témoin du champ dans lequel il a été actif.

Lors de l’étape de préparation du travail, ces lignes directrices sont spécifiées pour chaque témoin, en fonction des informations préalablement réunies sur ce dernier.

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Construction d’une base de données : principes méthodologiques

Le processus de constitution de la base de données est le suivant. Après un montage minimal, les entretiens sont mixés et étalonnés. Une version haute définition est déposée sur un serveur prévu à cet effet. Les entretiens sont ensuite compressés dans un format de consultation. Une première transcription est réalisée par des étudiants de manière « brute », c’est-à-dire littérale et au plus proche de ce qui est dit. Cette transcription est ensuite relue et travaillée par l’équipe du projet : les marques d’oralités sont supprimées et les expressions impropres à une publication écrite sont modifiées.

Un découpage de cette transcription est ensuite effectué et un titre est attribué à chaque unité portant sur un aspect particulier de la production ou sur une œuvre particulière et son mode de production. Ces unités thématiques sont reprises en « séquences » dans la base de données. L’indexation est faite sur ces segments de films selon une grille d’indexation originale développée pour notre objet et structurant la base de données.

La transcription n’est pas seulement le passage à une version écrite de l’entretien. Elle doit à la fois être utilisable comme un « document » de travail, qui suit exactement le fil du discours du témoin, capable de renvoyer au film à tout instant, et comme un texte édité, accessible à l’historien comme à un large public, donc parfaitement lisible. Cet « entre-deux » auquel tend notre méthode a fait l’objet d’un travail spécifique durant la fabrication du prototype et a été affiné par la suite. Un mode d’édition particulier a également été conçu à travers un système de notes afin de préciser ou de rectifier certaines informations lorsque cela semble nécessaire.

La grille d’indexation fait ressortir les noms de personnes citées, les lieux et les dates, ainsi que les noms d’institutions citées comprenant les structures de production, les collectifs, etc. Les titres d’œuvres ont été indexés, qu’il s’agisse d’un long ou d’un court-métrage, d’une émission télévisée ou d’une œuvre littéraire. Les événements, principalement les festivals, ont également été indexés. Nous avons aussi choisi de faire ressortir les thèmes ou sujets majeurs déjà reconnus dans le champ historique du cinéma suisse ainsi que les métiers ou les fonctions évoqués. Enfin, la pratique même de la production est documentée selon quatre aspects : les actions propres à la conception d’un film (de la recherche de financement à la diffusion), et les modes de financement (concernant les sources, les structures et le cadre de financement).

La base de données est une base FileMaker développée par Unicom pour gérer des fichiers vidéo et générer des séquences. Elle est accessible sur Internet par le biais d’une interface de recherche sommaire, simplement obtenue par le module de publication web de FileMaker. Il est possible d’y lancer une recherche en texte libre sur les transcriptions ou les titres de séquences ainsi que sur toutes les entrées de la grille d’indexation. La recherche d’un utilisateur renverra à une liste de segments provenant de plusieurs entretiens, permettant de confronter les points de vue sur un même thème. Il lui sera alors immédiatement possible de visionner les séquences filmiques correspondant aux segments de la transcription consultés. Les fonctionnalités de cette interface sont décrites dans un module d’aide à la recherche inséré dans l’interface.

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