God save Sulzer !

Les pressions économiques britanniques sur la Suisse se sont intensifiées tout au long du second conflit mondial ; ce processus culmine en 1943 avec l’inscription de Sulzer sur les listes noires. Dans cette configuration, le Service suisse des ondes courtes (SOC) a tenté de modérer les attaques portées à la diplomatie suisse.

L’industriel Hans Sulzer à Winterthour, le 1er juin 1943. © RDB / ATP
L’industriel Hans Sulzer à Winterthour, le 1er juin 1943. © RDB / ATP

Les chroniques radiophoniques du SOC ne rendent pas toujours compte de la réalité historique telle qu’on la connaît, fort de notre recul. Au contraire, on note des explications orientées et parfois biaisées de par la proximité entre journalistes et responsables politiques ou entre le gouvernement suisse et le SOC. Il s’agit dès lors de faire la part entre le factuel et les reformulations du SOC, motivées par les enjeux contemporains.

Comme le précisent les prescriptions en matière d’information délivrées par la Division Presse et Radio -organe fédéral de censure- au cours de la Seconde Guerre mondiale, les relations économiques entre Etats sont passées sous silence par le SOC. Cependant, cette règle de discrétion est parfois transgressée à certains moments d’exacerbation des tensions internationales. Le SOC est alors l’un des vecteurs pour affirmer une certaine image du pays vis-à-vis de l’extérieur.

Une diplomatie du non-dit

La volonté de maintenir l’indépendance de la Suisse est régulièrement rappelée au travers des chroniques. Or, les pressions exercées par les Alliés, qui s’intensifient dès le printemps 1942, vont à l’encontre de ce désir. Si celles-ci sont parfois évoquées au sein des chroniques, ce n’est que sous une forme euphémisée.  La prudence diplomatique prévaut afin de ménager les différentes puissances belligérantes. Il arrive néanmoins qu’une étincelle mette le feu aux poudres et déclenche les récriminations des autorités suisses.

Le « blacklisting » britannique

La problématique des listes noires donne un exemple pertinent de ces moments de tension. Ce procédé a permis aux Alliés de peser sur les décisions du gouvernement suisse en pointant du doigt des entreprises fortement impliquées dans les relations économiques avec l’Axe.

Bien que plusieurs entreprises helvétiques aient été sujettes aux restrictions alliées, le « blacklisting » de l’entreprise industrielle Sulzer A.G. est le seul à être mentionné par le SOC. En effet, l’inscription de ce producteur de matériel mécanique sur les listes noires anglaises fait l’objet d’une riposte radiophonique du SOC en novembre 1943.

Président de la commission fédérale pour la surveillance des importations et des exportations (1939-1945), Hans Sulzer constitue une figure emblématique de l’élite économique suisse et l’un des acteurs clés de la politique commerciale extérieure de cette période. Sa mise sur liste noire a donc une fonction éminemment symbolique.

Les Alliés accusent Sulzer de contribuer indirectement à l’effort de guerre allemand. En effet, les Britanniques soutiennent que l’entreprise produit et exporte en grande quantité des moteurs diesel ainsi que des machines-outils. Ils osent même qualifier l’entreprise de «fabrique d’armes». C’est pourquoi le gouvernement suisse ne peut se permettre de rester muet face à ces mises en cause.

Le SOC, héraut de l’intégrité helvétique

Par cet exemple, le SOC souligne l’image que la Confédération désire transmettre à l’extérieur. La Suisse ne prend pas part à l’effort de guerre, que ce soit en faveur des Alliés ou des forces de l’Axe. Elle désire seulement maintenir un commerce équilibré et respectable avec les puissances qui l’entourent ;  il en va de sa survie.

Le message n’est pas seulement destiné aux Suisses de l’étranger. L’intérêt de cette chronique est sa fonction de réponse directe aux attaques portées par les autorités britanniques. Le SOC contribue ainsi à défendre la position de la Suisse sur l’échiquier international : elle n’est pas un pion passif.

Michael Goodchild

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Chroniques

Le Service suisse des ondes courtes fait office d’agent diplomatique. Le gouvernement suisse se sert des ondes courtes pour ses communications officielles. Toutefois, les journalistes du SOC participent aussi au choix des tournures à adopter. La chronique du 18 mai 1940, rectifiant l’annonce de la presse anglaise, est symptomatique du pouvoir que détient le SOC concernant la modulation du texte brut envoyé par l’agence gouvernementale. Après une lecture comparative, le lecteur remarquera un changement de ton significatif.

L’actualité économique anglo-suisse n’est pas monnaie courante dans les chroniques du SOC. L’affaire Sulzer constitue l’une des rares exceptions. L’inscription de l’entreprise de production mécanique sur les listes noires britanniques induira un tollé médiatique. La chronique du 5 novembre 1943 , qui en témoigne, relaie le communiqué officiel, ainsi que le correctif du SOC destiné à être diffusé. Cet exemple met en exergue les valeurs d’intégrité nationale et de neutralité que le SOC souhaite véhiculer à l’étranger.

Liens

Sur Hans Sulzer
(Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur l’entreprise Sulzer
(Dictionnaire historique de la Suisse)